John Haskell publie son premier roman, après un recueil de nouvelle remarqué outre-Atlantique. Une construction originale, depuis le titre, American purgatorio, jusqu’aux intitulés de chapitres : les sept péchés capitaux, en latin dans le texte. Une ligne toute tracée pour une quête identitaire qui flirte avec l’introspection zen et la méditation. « A l’origine, je suis de Chicago. Je suis parti pour New York, j’ai épousé une femme qui s’appelle Anne, et je vivais heureux pour toujours et toujours quand il s’est passé quelque chose ». Tout le texte est le discours aseptisé de quelqu’un qui explique ses pérégrinations autour d’une quête du moi épuisante et a priori impossible à terminer. Pour une raison très simple, qui tient à son mode de fonctionnement : « Je rencontre des gens, on discute, et je sais ensuite plus de choses sur moi et les autres ». La démarche étant renouvelable à l’infini, la notion de perte à l’origine de la recherche du narrateur s’estompe très vite, passe en marge des réflexions qui naissent dans son esprit. En quelques pages, le drame originel perd toute substance, et Haskell a beau le mettre en avant, il ne peut plus lui rendre sa place.
Le drame en question : Anne disparaît sur une station service alors qu’elle prend de l’essence et que Jack, son mari, est parti leur acheter quelque chose à grignoter. A son retour, personne, plus de voiture, rien, nulle part. Colère puis inquiétude, incompréhension, impuissance : autour, personne n’est capable de lui dire ce qui s’est passé, personne n’a rien vu et ceux qui ont vu ne parlent qu’espagnol. Après plusieurs heures d’attente, Jack rentre chez lui, à pied, sans savoir ce qu’il va faire. Cette journée n’était au départ qu’un samedi ordinaire dans l’existence d’un couple tranquille. Mais après ce qui s’est passé, des questions surgissent. Qui est Anne, cette femme capable de disparaître sans prévenir ni laisser aucune trace ? Cache-t-elle une existence mystérieuse, une double vie ? Jack fouille ses affaires, trouve une carte sur laquelle quelques villes marquées au feutre rouge conduisent jusqu’à la côte Ouest. Il prend alors une décision abrupte : partir à sa recherche au volant d’une épave qu’il rachète à un copain depuis longtemps perdu de vue et dans laquelle il charge » les objets de sa vie « , livres, cactus, cassettes, photos, mandoline, ordinateur.
Ce qui plombe le roman, dès ces premières lignes, c’est ce besoin inhérent qu’il a de faire appel à notre croyance, tout de suite, pour surmonter les anomalies de scénario et entrer dans le récit. Confronté à l’absurde dans un univers qu’on connaît, on doit croire. Méditation, introspection, tout est bon mais indispensable. On erre en plein no man’s land temporel et visuel, en panne de repères, quand les repères ne sont pas trop caricaturaux. On partage une errance qui, malgré son objectif annoncé (retrouver Anne), perd tout sens et se délite en moments sans importance. Jack reconstruit ce qui passe à sa portée selon un prisme nouveau, une lecture du monde codée façon « ma femme a disparu ». Comment ? Pourquoi ? Lui- même l’ignore, suit un mouvement absurde qui pourrait aussi bien le conduire ailleurs, et ne maîtrise rien de ce qui arrive. Tout est question de pseudo-cheminement intérieur, avec ses questions sans réponses ou ses réponses inadéquates.
Sur la route, la confusion se généralise. Les gens croisés sont a priori sympathiques mais leurs portraits sonnent creux, leurs figures sont inconsistantes. Les motels sont les plus anonymes qui soient, les dialogues sonnent faux, le monde est terne. Artistes en mal de reconnaissance, adeptes du yoga, diseuses de bonnes aventures, hippies sur le retour, vagabonds sortis de l’imaginaire populaire… Rien n’y fait : tous sont lisses, sans relief, convenus. On est en Amérique, peut-être, mais une Amérique sans âge, sans identité. En avançant vers l’ouest, on tombe en terres indiennes sans que cela ancre davantage les choses dans le réel. Au fur et à mesure de son voyage, de plus en plus seul, Jack se débarrasse des ses possessions pour finir les poches vides et à pied, quand sa voiture rend définitivement l’âme. Il continue néanmoins obstinément vers San Diego, où il échoue sur une plage, invisible parmi les ombres, SDF sans repères. Heureusement, il retrouve Linda, croisée au tout début de son périple, qui l’installe chez elle. Il vit là sans déranger qui que ce soit, présence oubliée. Peu à peu les souvenirs affleurent, qui expliquent pourquoi Anne n’est plus là ; la chute du roman livre la clef de toutes ces étrangetés. Mis bout à bout, les indices offrent une conclusion qui surprend d’abord, avant de sembler une évidence absolue, presque trop facile. Sans doute parce que malgré une construction habile, le chemin à suivre pour arriver là où Haskell veut nous conduire est trop long, trop vide, un peu décevant.