En 1633, huit ans après Tirso de Molina, s’inspirant entre autre du personnage de Don Juan et des thèmes qui sont abordés dans ce mythe, John Ford imagine des jumeaux, Giovanni et Anabella, qui font le serment de s’aimer jusqu’à la mort, au point de vendre leur âme à l’inceste et à l’érotisme noir. Cette pièce, signée par un des grands rivaux de Shakespeare, avec Marlow, s’inscrit dans la tradition du drame élisabéthain, avec son baroque flamboyant, sa providence noire, sa violence sourde et meurtrière. Elle s’adresse à des lecteurs qui n’ont pas peur de se frotter à une intrigue parfois obscure, entremêlant plusieurs complots ponctués de rebondissements sanglants qui, pour certains, annoncent déjà la vague des mélodrames.
En 1625, Tirso de Molina inaugure le mythe de Don Juan par le biais de L’Abuseur de Séville. La figure du « grand seigneur méchant homme » n’aura de cesse d’évoluer par la grâce de plumes aussi talentueuses que celles de Molière, Pouchkine, Lenau, Da Ponte etc. D’autres dramaturges ou poètes s’inspirent du personnage, de sa fougue, de son esprit rebelle, de son insensibilité qui cache souvent une hypersensibilité, et surtout un besoin vital de liberté et d’absolu. Véritable ennemi des conventions et de l’examen de conscience, Don Juan se jette à corps perdu dans une quête effrénée du plaisir et de l’interdit. Dommage que ce soit une putain a souvent été considérée comme une pièce sulfureuse. La preuve en est l’acharnement avec lequel les traducteurs et les metteurs en scène ont successivement modifié le titre original.
« Dommage que ce soit une P… » ou pire encore « Dommage que ce soit une prostituée », chacun y est allé de sa petite tentative pour calmer le courroux d’un public -tant outre-Manche qu’en France- soucieux que « l’immoralité » n’outrepasse pas l’alibi artistique. L’Angleterre, en toute logique, s’est tout de même intéressée à cet auteur classique incontournable (tout en déclinant le titre) et a monté de multiples versions plus ou moins heureuses de la pièce. En France, coup de tonnerre dans le ciel serein du Paris des années 60, Visconti entreprend une mise en scène du texte de John Ford (à ne pas confondre avec le John Ford des westerns hollywoodiens). Il choisit deux pointures de l’époque, Alain Delon et Romy Schneider, sous le titre tronqué de « Dommage qu’elle soit une P… ». Bref, l’historique de la mise en scène en dit long sur le vertige que procure ce texte.
John Ford – Dommage que ce soit une putain
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