Le tréma sur le « ë » alertera tout de suite les amateurs de littérature surréaliste, qui reconnaîtront le prénom de Joë Bousquet (1897-1950), poète, romancier, combattant de 14-18, fondateur des Cahiers du Sud, ami de Max Ernst, Eluard, Paulhan. Guillaume de Fonclare, ancien directeur de l’Historial de la grande guerre à Péronne, atteint depuis 2004 d’une maladie qui l’a rendu invalide, a découvert un peu par hasard la vie et l’œuvre de cet écrivain que la guerre a privé, comme lui, de l’usage de la moitié de son corps (en mai 1918, une balle lui coupe la colonne vertébrale et le paralyse en-dessous du torse), et qui passa la moitié de sa vie alité, dans une petite maison de Carcassonne.
De là ce livre, qui n’est pas une biographie romancée de Bousquet mais plutôt une adresse, un signe lancé à travers les décennies, où il s’adresse directement au poète : « Je ne suis pas un biographe, et je n’ai pas cherché à l’être ; je voulais simplement découvrir comment vous aviez réussi ce tour de force de continuer à vivre en dépit de toutes les entraves que vous a imposées le destin. Et ma quête du personnage quelque peu lointain que vous étiez alors à mes yeux a très rapidement pris une autre allure ; vous m’avez séduit, j’ai aimé l’écrivain, l’homme ».
A cheval sur le récit et le témoignage, ce texte est une sorte d’autoportrait par portrait interposé, où la vie de l’auteur se mélange à celle du personnage dans un curieux chassé-croisé, à 70 ou 80 ans de distance. La plume de Fonclare est sobre et élégante, malgré la faute systématique et agaçante dans l’usage du « dont » (« C’est de lumière dont il s’agissait », page 23, « C’est de votre âme dont Louis Houdard est épris », page 73). Un beau livre, méditatif et profond, que l’auteur achève en notant qu’il sait désormais « qu’il y a des tristesses heureuses ».