Une ville d’Espagne non nommée, peut-être Barcelone ou Madrid, suffisamment grande pour qu’on y trouve des quartiers bien identifiés, et plusieurs piscines. Jeune photographe de presse, qui parfois tâte aussi de la photo d’art, Jonas Ager, depuis sa séparation d’avec sa compagne, vit dans le sud de la ville. Mais il n’a pas cessé pour autant de se rendre quasi quotidiennement dans une piscine au nord, où il aime à multiplier les longueurs dans un couloir. Sa vie monotone, agrémentée par ses conversations avec quelques amis, prend un tour vaguement inquiétant quand sa mère disparaît sans laisser d’explications. Mais elle n’est pas la seule : bientôt, d’autres gens s’évanouissent dans la nature, et ne donnent plus de nouvelles. Bizarrement, tout le monde fait comme si c’était normal, et les autorités ne semblent pas vouloir s’inquiéter.
Une ambiance étrange et froide flotte sur ce quatrième roman (le premier traduit) de Joaquín Pérez Azaústre, valeur montante de la littérature espagnole, né en 1976. La narration au présent de l’indicatif enferme le lecteur dans une sorte de continuité dénuée d’obstacles, un peu comme la progression du nageur solitaire dans son couloir, conformément à la métaphore de la piscine. Les disparitions successives des connaissances de Jonas font écho à l’espèce d’obsession esthétique qu’il recherche à travers ses photos, consacrées à des lieux abandonnés : « Il s’agirait de refléter l’instant précis où toutes ces réalités s’éteignent, qu’il s’agisse d’une ancienne boucherie ou d’une route secondaire. Je ne sais pas, refléter le vide, l’essence de cette transition, quand on devine que quelque chose s’est produit et que la situation a changé même si l’apparence reste identique ». Méditation existentialiste, si l’on veut, sur la solitude de l’animal humain et l’incommunicabilité, dans le monde en général et les mégapoles contemporaines en particulier, ce roman à l’intrigue flottante – forcément – semble lorgner du côté de Beckett ou Kafka. Lente, cinématographique et envoûtante, la première partie est plus réussie que la seconde, où l’entrée en scène de plusieurs personnages mystérieux crée un sentiment de frustration quand l’auteur paraît laisser se noyer son intrigue.
Traduit de l’espagnol par Delphine Valentin.