L’Homme ralenti commence plutôt bien : « Le choc le prend sur sa droite, par surprise, violent et douloureux, comme une décharge électrique, le soulevant de sa bicyclette. En souplesse ! se dit-il tandis qu’il part en vol plané (en vol plané, avec la plus parfaite aisance !) ». Une des réussites du roman tient à la superposition de la voix du narrateur et de la conscience flottante de Paul Eyment, l’accidenté, qui ne manque pas d’ironiser sur son « nouveau corps ». « S’il faut lui donner un nom, c’est le jambon. Le jambon ménage une distance, la distance du mépris ». Le lecteur chemine ainsi au rythme de l’alternance de ces deux voix. Sauf que la vie intérieure de notre anti-héros se réduit le plus souvent à un ressassement pathétique. Car Paul Eyment n’a rien du héros plein de panache : sexagénaire désormais unijambiste, il s’amourache de son auxiliaire de vie croate et rêve d’adopter la fratrie des Jokič pour jouer les pères accomplis et donner un sens à sa vie.
En fait, Paul est surtout un vieux radoteur imbibé de catholicisme douteux et de préjugés misogynes étonnamment rétrogrades, mélange qui accouche de ce genre d’ineptie : « Faite pour la maternité, Marijana. Elle l’aurait aidé à ne pas rester sans progéniture. Marijana pouvait en enfanter six, dix, douze et avoir encore de l’amour à revendre, de l’amour de mère ». Ou encore : « En elle, il commence à voir sinon la beauté, du moins la perfection d’un certain type de femme. Une Force de cheval, pense-t-il en reluquant les solides mollets, les hanches bien tournées qui frémissent quand elle se hausse jusqu’aux étagères du haut. Forte comme une jument« . L’Homme ralenti invente un nouveau créneau : le Harlequin rustique et cul béni.
Le récit des amours d’un vieux schnock libidineux ne suffisant pas à faire un roman haletant, Coetzee a eu une idée géniale : faire débarquer chez lui une vieille romancière à succès, Elizabeth Costello (celle de son précédent roman). Le mieux reste à venir : Costello est télépathe. Un tel don attise toute la curiosité du lecteur : Costello est-elle l’alter ego féminin de Paul, le double de l’auteur, ou un démiurge ? Toujours est-il qu’elle s’évertue à prendre en main le destin de Paul, et décide de lui présenter une jeune femme aveugle dotée d' »un gros derrière quand même, gros et mou. Il est vrai que les aveugles ne sont guère actifs, ne marchent pas, ne courent pas, ne font pas de vélo ». C’est bien connu : les aveugles ont tous un gros cul mou parce qu’il ne font pas de sport. Comme ce détail physique est parfaitement rédhibitoire pour notre unijambiste, Costello finit par lui faire une proposition séduisante : un ménage platonique de petits vieux. L’Homme ralenti collectionne in fine les clichés et s’égare dans une pénible série d’atermoiements. A réserver aux fans de Coetzee. Et encore.