Notre société ronronnante a besoin d’écrivains révoltés. On aime à lire chez ces porte-parole ce qu’il nous est impossible de crier, ce que la convention, la politesse, les susceptibilités et inquiétudes obligent à taire. Ces écrivains-là, ceux qui hurlent à notre place, il nous les faut. Ils pratiquent la dénonciation sociale. Le romancier peut être de ceux-là. Mais plus qu’un sociologue peut-être, parce qu’il fait des révoltes et des luttes sociales une œuvre de fiction, il se doit d’être convaincant. Et l’on est pas toujours convaincu, loin s’en faut, par les révoltes d’Une si douce apocalypse de Jérôme Leroy.
Entendons-nous bien : souvent, dans ces nouvelles situées à mi-chemin entre un présent désenchanté et un futur plus plombé encore, il est une vraie angoisse, intérieure, dérangeante, comme dans ce beau morceau de cauchemar qu’est « Opération Sisyphe », décrivant une expérience aux psychotropes pratiquée sur cobaye humain. Pollution, fracture sociale, manipulation politique et violence urbaine… A travers ces thèmes c’est l’époque entière que Jérôme Leroy s’attache à décrier. Tâche ingrate en vérité, car il n’y a, nous dit-il, pas le moindre espoir. « En un instant, tout m’a paru très clair », confie le héros de « L’ange gardien », autre nouvelle d’assez bonne facture : « Il m’a semblé inconcevable de laisser l’époque massacrer ce corps de jeune fille ». Et quand la datation s’emballe, dépassant le présent pour se projeter dans un avenir proche, c’est toujours pour le pire.
Sans doute y a-t-il de la bonne volonté dans tout cela. On pourrait même dire : des wagons de bons sentiments. Seulement voilà, l’ensemble est une caricature. Les bons d’un côté, les mauvais de l’autre. Bienheureux les humbles, aux riches le vide existentiel et le suicide (« Aphrodite ou les Heures creuses »). Et des quartiers en flammes d’où surgissent des saints, éradiqués par le pouvoir en place (« Une si douce apocalypse »). Les gens sont malheureux, certes. Et le complot au sommet du pouvoir, permanent. Le rôle de la fiction, en vérité, est peut-être de dénoncer ces injustices. Mais la dénonciation s’accommode mal des lieux communs. Sinon, elle manque sa cible, et tombe d’elle-même.
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