Voici donc l’un des romans-événements de 2010 aux Etats-Unis, récompensé par une montagne de prix dont le Pulitzer et le National Book Critic Circle Award. Il est même adapté en série télévisée par HBO ! Ce qui tombe bien, Jennifer Egan affirmant que Les Sopranos ont été l’une de ses inspirations, avec Proust… En vérité, Qu’avons-nous fait de nos rêves ? est moins un roman qu’un recueil de nouvelles interconnectées, ou un récit par fragments composé d’une douzaine de chapitres à des époques différentes (des années 1970 au futur proche), racontés par des narrateurs variés et lisibles isolément (la plupart ont été publiés en revues avant d’être rassemblés). Les histoires s’articulent autour de quelques personnages récurrents dont beaucoup ont eu affaire au monde du rock et de la musique : un producteur à succès des années 1970, un ex-bassiste devenu producteur à son tour, l’assistante cleptomane de ce dernier, son vieux copain de fac qui déraille et pêche à présent dans l’East River (« La rivière n’est pas aussi polluée qu’on l’imagine »), etc.
Tout ce petit monde se croise et se recroise, chacun ayant un lien avec les autres comme dans Le Script de Rick Moody, au fil de chapitres qui vont de la farce tragicomique (une publicitaire chargée de la communication d’un dictateur) au drame (la fugue autodestructive de l’assistante en Europe) en passant par un passage expérimental rédigé… sous forme de tableaux PowerPoint. Tout cela est virtuose, malin et un peu convenu, tournant autour de cette idée assez plate qu’on ne contrôle pas sa vie et que le temps détruit tout ; et la réflexion sur les changements socioculturels est affaiblie par la structure du texte, qui brouille la chronologie. Qu’avons-nous fait de nos rêves ? est un exploit pyrotechnique sympathique, moderne en diable et finalement assez vain.