Inspiré par Burrough et Philip K. Dick, mais aussi proche de Maurice Dantec par certains aspects, Jean-Pierre Théolier a eu, comme ce dernier, l’ambition d’un « roman-monde », et ce dès sa première œuvre. Mélangeant des éléments issus du polar ou de la SF à des spéculations métaphysiques, l’histoire est celle de la descente aux enfers d’un personnage -double de l’auteur- portant le nom d’une défaite : Sedan. Passant l’essentiel de son existence dans les rades d’une ville de l’ouest à divaguer sur Baudelaire, Daumal, Guénon et la chute de la civilisation occidentale avec ses amis (aussi marginaux-junkies-alcooliques que lui), Sedan s’enfonce dans la folie et l’addiction après le bref interlude amoureux d’une liaison avec Florence Bergamme, future femme de son meilleur ami. Une seconde dimension se développe parallèlement à la première dans laquelle interviennent la « Brigade des Sentiments », les « Présences » et toute une technocratie au service du Prince (Satan) qui contrôle la « Résidence », nom de code de la société contemporaine. Sylvain Rabeau, l’architecte de la maison des Bergamme construite au dix-huitième, est rappelé des morts au service du Prince afin d’éliminer Sedan et ses amis, alors que l’entité de la maison baroque est peu à peu élucidée comme création diabolique poussant ses habitants à la folie et au suicide.
La narration, complètement dynamitée, mêle sans ambages les deux dimensions et leurs narrateurs, narrateurs intradiégétiques ou extradiégétiques, alors même que Sedan écrit un roman suivant des techniques appliquées par Théolier qui apparaît lui-même comme personnage dans la fiction. Intégrant aussi dans le texte journal de voyage, lettres, messages de répondeur téléphonique, et faisant suivre les trois segments du roman par des annexes où un personnage de la fiction écrit une préface au roman de Sedan et où Théolier s’explique lui-même sur son œuvre, on assiste à la mise en place d’une écriture totalement schizophrène mêlant réalité, fiction et ultra-réalisme fictionnel, à la manière d’un Danielewski. S’il y a tout au long de cette descente aux enfers écrite sous amphétamines, on l’aura compris, la volonté manifeste d’élaborer une esthétique du chaos, on touche malheureusement plus trivialement au simple bordel. Bordel parfois jouissif, souvent éreintant, truffé d’autant de réflexions intéressantes que de scories inutiles et de sentences pompeuses et indigestes. Ce qui se révèle être un roman de conversion se résolvant dans la lumière christique après une étude du Mal comme règne peut être fascinant comme document mais pêche en tant qu’oeuvre littéraire pure. On se demande parfois si Théolier a pris soin de corriger son manuscrit à jeun…
Même si elle nous paraît un peu ratée, la tentative n’en est pas moins louable, symptomatique peut-être de l’émergence d’un nouveau courant littéraire extrêmement ambitieux, aux accents cyber-mystiques et schizophrènes, qui nous fait, en tous cas, respirer un air moins confiné que celui des névrosées pathétiques de l’autofiction.