On a lu tant de fois l’expression « livre coup de poing » dans les dossiers de presse de romans frappant dans le vide avec leurs petits poings d’enfants qu’on rechigne à l’employer, de peur de la vider un peu plus de son sens. Pourtant, c’est un fait, Le Paradoxe de Fermi a un effet proche du frottement brutal des chairs, quand une main fermée caresse vigoureusement l’ossature fragile d’un visage et qu’il en résulte une certaine désolidarisation du nez et du reste du squelette. Cela va très vite, cela fait très mal, et quelque chose par la suite est irrémédiablement brisé.
Le Paradoxe de Fermi fait 170 pages et va droit au but. Sa première ambition : décrire l’effondrement de la civilisation. Rien de bien nouveau, sans doute, c’est le genre de description dont la littérature ne manque pas, depuis que « nos autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles » (Valéry). Mais Boudine s’attelle à la tâche avec une certaine compétence, un sens de la complexité qui donne un caractère de vraisemblance à l’ensemble, ajouté à un talent de moraliste sans lequel il n’y a pas de décadence concevable.
Nous voici donc en 2029, après la fin de tout, en compagnie du dernier homme civilisé, dont on recueille le témoignage entre une chasse au mulot et un feu de camp. Très réussie, cette première partie ne fait pourtant pas aussi froid dans le dos que la seconde, qui n’occupe que les dernières pages. Boudine y tente de résoudre le fameux « paradoxe de Fermi » : puisque les conditions d’apparition de la vie (et de l’intelligence) sont a priori reproductibles, et vu le nombre faramineux de mondes habitables dans l’univers, il est fortement improbable (au sens fort : il n’y a aucune chance) que des civilisations intelligentes ne nous aient pas précédés dans l’histoire cosmique. Dès lors, pourquoi ne voyons-nous rien dans ces immensités froides ? Pourquoi ne captons-nous aucune émission radio, aucune trace thermique, aucune régularité dans le bruit blanc de l’univers ?
La réponse est en soi un spoiler, mais elle mérite d’être énoncée (vous pouvez sauter ce paragraphe) : en gros, la vie intelligente ne dure pas dans l’univers, parce qu’elle s’auto-détruit systématiquement. Elle produit, pour s’épanouir, une technologie qui nuit en même temps à sa survie, et elle s’éteint au bout de quelques milliers d’années (une fraction de seconde à l’échelle cosmique). De sorte que les fenêtres temporelles occupées par deux intelligences dans l’univers seront toujours trop petites pour qu’elles se rencontrent. Et donc, nous ne sommes pas seuls, mais nous le resterons quoi qu’il arrive. Voilà, c’est à peu près ça, un « livre coup de poing ».