C’était au déclin de la beauté… et Jean-Jacques Schuhl aurait aimé ne pas s’en souvenir. Si le cynisme ne va pas sans une grande sentimentalité, une habitude brisée ne va pas sans une part de nostalgie. Celle de fréquenter les hôtels par exemple. Sur les ruines du demi-siècle passé subsistent des vestiges. Ce sont de ces choses révolues, mais sans tristesse, que J. J. Schuhl nous entretient, de l’élégance d’un temps qui n’était pas encore endormi -le nôtre- et des vivants qu’il côtoya avant l’époque « glaciaire ». Le passage s’est opéré des « sixties aux seventies ». Quelques esprits lucides s’en sont aperçus. Mais personne n’a bougé. Avec ce livre, la galerie se recompose sous nos yeux. Dévoilement de chacun d’eux, de leur part d’ombre par un écrivain ayant le goût des détails : Fassbinder, Monsieur Saint-Laurent, le producteur Jean-Pierre Rassam, et Ingrid Caven, femme « vitale » (d’autres femmes la suivent d’assez près dans ces pages complices), chanteuse au filet d’or touchée très tôt par la grâce, à qui il offre ce bel hommage. Ingrid Caven ou l’histoire d’un corps devenu musique. Ici samplée, montée et remontée comme dans un film ou un titre d’electronica par un clandestin fidèle à l’égérie. Tendre à l’invisibilité, disparaître du cadre pour mieux laisser courir la note, telle est l’ambition de cette rhapsodie. Pari gagné !
Partir de la mort même. Et surtout ne pas croire que tout cela (la mode, le cinéma, etc.) est volage : elles frôlent le suicide. En y regardant de plus près, les jeunes auteurs tiennent là un programme d’avenir : « éviter tout lyrisme sans surtout, comme c’est souvent le cas, tomber dans une ascétique sécheresse d’épure ». Ce que l’on appelle le style. Et Jean-Jacques Schuhl n’en manque pas (on se reportera pour s’en convaincre aux merveilleuses pages des séquences 3 et 4, où son bonheur d’expression atteint son apogée). Un frère cadet de Stendhal, de Genet et de son « dandysme terrible » ? Peut-être. Lui sait que « la meilleure façon de ne pas se perdre, c’est de ne pas savoir où on va ». La vie lui a certes laissé un goût de cendre dans la bouche. Mais pas seulement. Son humour le met en marge de ces deux tares que sont l’optimisme et le pessimisme. Un sarcasme, pour conclure ? Note sur la Deuxième Guerre mondiale : « Les Anglais n’ont qu’à lâcher leurs bombes à eux sur Londres et les Allemands les leurs sur Hambourg, ça économisera du carburant ». Maintenant qu’il n’y a plus personne, on se rend compte que Jean-Jacques Schuhl est là. La féerie, ce sera pour une autre fois. Si d’autres temps arrivent. En attendant, en avant la musique !