Apôtre du bon goût libertaire des années 70, le magazine Actuel était aussi l’espace de toutes les tendances, de tous les possibles. Trente ans après avoir révolutionné la presse culturelle de l’époque, la tribu Actuel est toujours en place, tout aussi bordélique et finalement sympathique. Et si le dernier avatar d’Actuel (Nova et ses déclinaisons radio et magazine) peuvent parfois agacer de par leur vide flagrant, Bizot, en bon bordélico-guru, a su laisser filtrer dans les interstices du système un esprit anar de renouvellement contre-culturel.
Et, bien conscient que l’âge d’or de la contre-culture est bien loin derrière lui, Bizot collecte dans la lucidité la plus remarquable le « meilleur du best of » d’Actuel. Résultat : un grand livre sous forme d’objet qui ratisse large dans les archives du boss. Côté mise en page, pas question de céder à la mode technoïde ; au contraire, l’esprit anarchique et quasi-fanzine des premières années d’Actuel est ici repris dans les grandes lignes, transposé sur le papier glacé de la co-édition luxueuse avec Denoël.
L’apport essentiel de ce genre de collectif éclaté : faire oublier que les années 60/70 ne furent pas que des années idéalistes. Non, la culture du « contre », de l’alternative et de la lutte à armes égales avec la grande machine systémique vient essentiellement de ces années où, en marge des babas cool de tous poils, les hacktivistes balbutiaient, les deleuziens faisaient meutes et l’electro-techno se cherchait. De la violence culturelle pure (Klossowski, Sid Vicious et Burroughs en papes inestimés), des prospectives sonores encore en process (Kraftwerk, Schizo ou Can), des grands axes politiques essentiels (le nihilisme et le court-circuit comme seuls échappatoires) et une volonté farouche de défricher, quitte à parfois s’égarer.
Dans le cut-up gigantesque du livre, pas de rubriquage ni autre avatar organisationnel ; juste un grand fourre-tout conceptuel et graphique où s’enfilent les textes de Kouchner, Bizot, Marcadet, Rambaud et autres acteurs de cette ludicité bien orchestrée. Au hasard des pages, un name-dropping impromptu de tous les pionniers de l’avant-garde : Eno, Ballard, Burroughs, Dick, Foucault, Deleuze, Guattari, Kraftwerk, Jaki Liebezeit, Laibach, Sid Vicious et autres compagnons d’infortune. Un condensé unique sous forme de boîte à outil théorique pour les devenirs culturels.