Soyons sérieux, parlons de la Chine. Des chefs d’Etats occidentaux se précipitent auprès des autorités et des industriels du pays, se passionnent pour ses arts, quand ils ne citent pas trois haïkus d’affilée. Ca cache quelque chose. Car, très fréquemment, on nous entretient de ce territoire comme d’un territoire inatteignable. Ses hommes préserveraient ce caractère « autre » (de résistance aussi) que l’on ne pourrait réduire à nos modestes schémas de pensée. Ce n’est pas faux car, pour diverses raisons historiques, expliquées dans ce formidable essai, la Chine tente de préserver sa singularité -ainsi en est-il de son mode d’organisation hiérarchique et stratégique, plus que politique. Mais ce n’est pas tout. Voici pourquoi, aujourd’hui, une voix s’élève pour réfréner ces élans « d’optimisme », qui ne sont rien d’autre que le dévoilement d’intérêts très particuliers. Alors qu’en Occident la relation marchande a été réduite à l’ordre quantitatif, que le social a été soumis aux abstractions de sa « raison », et que ce processus s’accélère à la vitesse des particules élémentaires, bref, que le chemin est balisé, la Chine, poursuivant la même finalité (bâtir une puissance industrielle), mais autrement, fait, sous la pression insistante de l’extérieur, son entrée -encore chaotique- dans le Grand Marché.
C’est cette « réaction en chaîne non maîtrisée », inconsciente pour une part, et son développement foudroyant depuis moins d’un siècle, étendue de manière virale à l’ensemble de la planète, qui est ici analysée. Une analyse à la fois totalisante, ayant le souci de la nuance (évitant notamment l’écueil de l’anti-américanisme primaire), et offrant quelques raccourcis saisissants où la faculté de jugement de son auteur s’exerce telle une vraie pensée critique ; à savoir, entre autres choses, et nous devrions y être plus attentifs : la Chine se trouve dans une situation quasi similaire à celle de l’Occident… il y a environ un siècle. La débâcle est annoncée, mais personne n’y prend garde. Il s’agit en quelque sorte d’un très instructif « bon en arrière », tel un film passé à l’envers, nous aidant à mieux comprendre les effets qui ont amené, sous le diktat d’un modèle dominant (américain pour le coup), les pays industrialisés à une mort certaine ; celle du social en tout cas, donc de l’humain. La Chine se trouve à ce moment historique précis. Pour l’heure, elle nous renvoie encore cette image d’une société d’avant la liquidation générale. C’est en s’interrogeant sur ce qui lui arrive que nous pourrons, peut-être, substituer au modèle existant un autre modèle, « de délibération et d’autodétermination permanentes du social et de soi ». Comment ? Jean-François Billeter ne le dit pas.