L’écriture de McInerney a ses constantes. De lieu d’abord : New York est quasi incontournable. D’esprit aussi : la désillusion n’est jamais loin. Et puis, il y a les chutes. Les personnages des textes de McInerney découvrent généralement à la fin ce que le lecteur a depuis longtemps deviné : quand cynisme et causticité sont de mise pour qui fréquente les soirées de Manhattan, la légèreté, finalement, n’est qu’apparence. McInerney (et avec lui les figures cultes du « Brat Pack », Bret Easton Ellis en tête, également chantre de la vie new-yorkaise quoique dans un genre différent) ne connaît que trop bien les mirages de la grande ville. Il a longtemps traîné derrière lui l’image de fêtard branché, mannequin au bras, nez dans la poudre, loft à TriBeCa, incarnant à la perfection les années 1980, leur insouciance, et d’une certaine manière, leur innocence. La faute à Bright lights big city, bien sûr, souvent lu comme une simili-autobiographie, le personnage principal présentant incontestablement des points communs avec l’auteur. Pourtant, l’oiseau de nuit courant les boîtes y termine seul, à genoux sur un trottoir, dans la lumière du petit matin. « Tu as tout à réapprendre », lui faisait dire McInerney. Une phrase qui colle tout autant à Corrine Calloway, dont les rêves de renouveau s’évanouissent (La Belle Vie) ; à l’ami fidèle de Will, noyé dans ses souvenirs (Le Dernier des Savage) ; à Alison Poole, seule dans une chambre d’hôpital trop blanche (Toute ma vie). Les conclusions de McInerney sont toujours les mêmes : au-delà du paraître se pose la question du sens de l’existence, ou de sa vanité. Et ses romans ne sont pas un panégyrique de la nuit new-yorkaise : plutôt une satire, acerbe, d’une société de l’image dans laquelle le paraître prend le pas sur l’être.
Evidemment, l’art de la chute de McInerney est tout particulièrement sensible lorsqu’il se livre à l’exercice la nouvelle, genre qu’en digne disciple de Carver il pratique depuis ses débuts. Le recueil publié aujourd’hui permet d’ailleurs de le constater, puisque les textes réunis ici datent pour les plus anciens des années 1980. On retrouve dans « Il est 6 heures du matin, tu sais où tu es ? » ce qui fera ensuite l’introduction et la conclusion du Journal d’un oiseau de nuit. « Dans la province frontalière du nord-ouest » livre d’un bloc les passages himalayens ensuite éparpillés au fil de la mémoire de Christopher Ransom dans Ransom ; « Moi tout craché » et « Philomena » se retrouveront quasi tels quels dans Toute ma vie et Glamour attitude.
Les textes suivant, datés de 2007-2008, sont inédits, et pour cause : McInerney n’a pas publié de nouveau roman depuis La Belle vie, en 2006. Ils confirment le basculement des préoccupations de l’auteur, qu’on ressentait d’autant plus clairement dans La Belle vie qu’il s’agissait là de son roman « post 09/11 » et qu’il avait fait le choix d’y remettre en scène les personnages emblématiques de Trente ans et des poussières, Corrine et Russell Calloway, parfaits témoins de l’insidieux passage du temps. Dans ces nouvelles, où la déliquescence du couple occupe une place de choix, on quitte aussi souvent New York. On repart d’où l’on vient, ou bien vers les banlieues, pour plus d’espace, pour les enfants… Les personnages de McInerney s’embourgeoisent, et souvent, s’ennuient. Le couple de « Barrières invisibles » tente ainsi désespérément de pimenter son quotidien, quitte à se perdre. Alison Poole, dans « Pénélope au bord de l’eau », signe son grand retour, contrainte de constater qu’elle vient, une fois n’est pas coutume, de se faire avoir par son dernier coup de foudre, un politicien aux dents longues. L’image de mère parfaite, totalement mythifiée, d’« Une madone pour le jour de la dinde », prend un sérieux coup dans l’aile. Le renouveau du religieux pose un dilemme insoluble à Liam dans « Je t’aime, chéri ». Et impossible de parler de l’autobiographique – vraiment – « Au lit avec des cochons », qui permet de relativiser sérieusement la glam attitude de l’auteur.
A l’arrivée, Moi tout craché est un recueil susceptible de satisfaire aussi bien qui n’a jamais lu McInerney que qui le connaît très bien. Pour ce dernier, la publication par ordre chronologique, qui place en ouverture du recueil 4 nouvelles formant des passages entiers de certains de ses romans, est au départ déroutante ; elle permet néanmoins de confirmer qu’un « ton » McInerney existe réellement et surtout, autorise la mise en perspective des textes plus récents. McInerney, passé expert en dégustation de bons vins, avait juré après le 11 septembre qu’il n’écrirait plus, avant de changer d’avis (« J’ai souvent tendance à exagérer », nous déclarait-il au moment de la publication en France de La Belle vie). Les derniers textes de Moi tout craché confirment qu’il n’a pas abandonné la littérature. A quand la découverte dans un nouveau roman d’une des nouvelles publiées ici ?