S’il n’a pas (chez nous en tous cas) l’aura d’un Bret Easton Ellis, Jay McInerney reste l’un des écrivains américains les plus importants des vingt dernières années, autant pour la qualité littéraire de son œuvre que pour son regard acide et lucide sur une Amérique fin de siècle qu’il aura décrit comme personne. En 1985, à vingt-sept ans, il publie Journal d’un oiseau de nuit (Bright lights, big city), histoire double d’un héros mélancolique qui compense le terne de son quotidien dans le strass de nuits excessives et cocaïnées. Le roman, symptomatique de l’état d’esprit d’une génération et quasi-initiateur d’un courant littéraire, a pour lui un ton neuf, rapide, sec et précis : il s’en vend 20 000 exemplaires par semaine durant des mois, Hollywood achète les droits mais ne concrétisera jamais les trois projets d’adaptation préparés par l’auteur. Le milieu littéraire apprend vite à connaître celui que les gazettes surnomment bientôt « l’effronté » ; il multiplie les coups d’éclat, dézingue les critiques qui ont publié des papiers négatifs sur son livre dans une série de portraits au vitriol pour Esquire et fait tout ce qu’il faut pour passer à la télévision, avec cette élégance de dandy frimeur qui fascine et énerve à la fois. Trente ans et des poussières, en 1993, confirme son talent tout en le plaçant aux yeux du public, plus ou moins malgré lui d’ailleurs, à la tête d’une école hétéroclite où l’on retrouve Donna Tartt, Ellis ou Susan Minot ; McInerney, à qui l’on sert volontiers du Fitzgerald dans les portraits, symbolise à lui tout seul cette littérature des univers superficiels (la mode, le show-business), de l’alcool fort, des nuits aussi blanches que la poudre qu’on s’y enfile, et, bien sûr, de l’indicible vacuité sur quoi sont bâties les illusions de la faune insouciante qu’il met en scène. Inutile de souligner son influence sur la jeune littérature des deux côtés de l’Atlantique, même si les copies n’ont jamais valu l’original.
« Le sujet de mes livres a disparu le 11 septembre », constatait-il sobrement après la tragédie. Fin d’un siècle, fin d’un monde : l’Amérique change d’ère, les derniers yuppies pleurent l’éclatement de la bulle Internet, la fête s’achève en laissant un goût amer au fond des bouches. On est impatient de savoir comment McInerney, romancier du glamour (Glamour attitude était le titre de son dernier roman) et des lumières du grand cirque nocturne, va appréhender le choc symbolique de l’attentat et le changement d’état d’esprit qui en a résulté ; tout le monde semble attendre une sorte de parole prophétique de la part d’un Don DeLillo (la question revenait sans cesse dans les interviews de l’auteur de Cosmopolis parues dans la presse française en cette rentrée), mais le regard de McInerney, avec la maturité d’écrivain que lui confère une œuvre forte aujourd’hui de huit livres, sera tout autant précieux. D’ici là, on découvrira avec intérêt ces dix excellentes nouvelles parues un an avant que, pour reprendre ses propres termes, « leur sujet ne disparaisse » : des textes inégaux mais impeccablement construits et maîtrisés, qui montreront combien McInerney est un écrivain avant que d’être un symbole. Raymond Carver lui mit jadis du plomb dans l’aile et cela se voit : il excelle à installer une situation et à planter une atmosphère, avec par-dessus tout l’inimitable ironie subtile et caustique qui caractérise son style. Dans le Paris by night ou dans les coulisses de la vie politique américaine, dans un couple aisé ou à Hollywood, McInerney semble être à l’aise partout et mène l’affaire avec une admirable virtuosité : c’est fin, bien écrit, le plus souvent hilarant. Ses prochains livres ne ressembleront sans doute pas du tout à celui-là ; l’heure n’est plus à la légèreté. Ce n’est peut-être pas la fin de tout, mais une époque s’achève indéniablement. Raison de plus pour ne pas en manquer les derniers échos.