On peut ignorer que Rovaniemi est la capitale de la Laponie et, surtout, le pied-à-terre d’un certain Père Noël ; on ne risque plus de l’oublier après lecture de ce roman -le premier traduit en français- d’un natif de l’endroit, Jari Tervo, lequel fait de ce patelin nordique le théâtre d’une comédie policière trash et scabreuse dans le petit monde de la pègre et des ratés qui y pullulent. L’histoire commence « dans la semaine du 1er mai » avec l’assassinat inexpliqué de Massepain Räikkönen (tous les personnages ont des patronymes assez cocasses : Semence, Rixe, Gerbe, Racine, Navet, Grue et compagnie), remuante petite frappe locale logée dans une bicoque crasseuse avec sa « Vioque de mère » et son fiston arriéré. Fait divers on ne peut plus banal que Tervo transforme, au gré d’une enquête policière délirante et d’une galerie de portraits à la première personne complète (le narrateur change à chaque chapitre), en une symphonie truculente où chacun joue sa partition dans son coin, hurlant, pestant et jurant à la face des autres.
De la gamine qui découvre le macchabée (« Le monsieur a un gros bobo à la tête, mais il pleure même pas ») aux deux ambulanciers idiots qui viennent le ramasser (« Comment ça se fait-y que t’y penses toujours à la baise quand on part en urgence ? »), des flics loosers qui vont tenter de résoudre l’affaire au boucher du quartier et aux sales gosses de la pègre du coin, cela défile comme dans un cartoon co-réalisé par Tex Avery et Quentin Tarantino, avec tout ce qu’il faut de dialogues salés et de grossièretés choisies. Bref : de la grosse farce jubilatoire et irrévérencieuse à souhait, sous les exubérances de laquelle on pourra voir un tableau furieusement caustique du quotidien lapon et de cette réalité provinciale dans laquelle Tervo puise habituellement son inspiration. Pas de pitié pour le village du Père Noël dans son univers macabre et comique : les truands y prennent la place des cadeaux dans la hotte et les lettres contiennent des demandes de rançon plus que des commandes de jouets en bois. Tout cela n’est pas toujours très élégant mais, pour peu qu’on ne se décourage pas dans les longueurs et qu’on ne se formalise pas du style souvent foutraque de l’auteur, on rit pour son argent. C’est bien le moins que puisse garantir ce finlandais à succès, poète et accessoirement homme de télévision, associé par le grand public aux « Meren Pojat » (les « gars de Meri » : Juha Seppälä et Kari Hotakainen) avec lesquels il partage un regard d’une copieuse ironie sur son époque et une propension à voir en l’homme la crasse et les travers plus volontiers que la grâce et la poésie. Oreilles fragiles s’abstenir.