Il y a chez Galvin une poésie inhérente à chaque mot qui fait de son roman un moment d’absolu. Il fait d’immensités désertes l’essence de ses textes, choisit des morceaux de vie qu’il hache, décompose, replace les uns au bout des autres dans un parfait chaos temporel et identitaire. Retours en arrière, arrêts sur image, fuite en avant constituent l’essentiel dans la trame de fond qu’il tisse au fil des paysages grandioses du Wyoming. Toujours en construction, le mythe de la frontière pousse vers l’avant, à la conquête de terres inhospitalières sur lesquelles on décide de s’installer. Les cow-boys à cheval sont omniprésents, qui manient le lasso tout en concédant une place nouvelle aux 4×4, devenus partie intégrante du paysage. Mais les hommes qui font vivre ces terres se trouvent confrontés à un phénomène qu’ils n’attendaient pas, qu’ils ne pouvaient pas même imaginer. Le jeu, dans ces lieux désertés, devient celui des prospecteurs immobiliers ; des meutes citadines se présentent en foule, appâtées par les photos magnifiques d’horizons sans limites, parfaits pour implanter de superbes pavillons préfabriqués pour week-ends à la campagne.
Dans cette farce grotesque, hors contexte, les personnages de Galvin affirment leur identité, profondément ancrée dans ce sol qui est leur monde. Les figures répondent à des valeurs sans âges, une certaine image de la solitude, une certaine idée de courage, de loyauté, de générosité. Ces hommes, Galvin les creuse encore et encore, nous en montre la profondeur, pointe dans leur histoires les moments clefs qui fondent leur amitié, petits riens qui sous sa plume grinçante, drôle ou désabusée, forment un kaléidoscope d’humeurs, d’humour, de vie brute, sans fard. A travers la fuite d’un homme qui veut mener son dernier rêve jusqu’au bout, sachant qu’il ne retournera pas en arrière parce qu’il a vécu toute son existence dans le respect absolu de ses convictions les plus intimes et qu’il lui est impossible de les voir détruites, Galvin se fait témoin et porte parole d’un monde qu’il veut préserver et pour lequel il craint ce qu’il a déjà trop vu : une inexorable destruction, née de la cupidité de certains. Dans ces moments qu’il décrit plane l’ombre du western, un rêve américain dont le temps s’éterniserait. Un dernier espoir pour les grandes prairies et les montagnes sauvages, loin du monde.