Devant l’afflux massif des journaux intimes publiés du vivant de leurs auteurs, ou d’ouvrages dont le seul but semble être, au final, de magnifier sa propre petite personne dépourvue d’oeuvre, il est une question que l’on est trop souvent enclin à se poser : y a-t-il, dans la cervelle de celui ou celle qui écrit, une seule once de prédisposition à l’art ? Emettre ce doute -somme toute légitime- c’est, malheureusement, voir ses positions glisser vers celles des gens réactionnaires ou des ennemis de l’art tout court.
Légendes de Catherine M. est bien le livre le plus drôle et affligeant que nous ait, cette année, offert Jacques Henric. La prétention de l’auteur est, au départ, on ne peut plus simple et digne d’attention : expliquer et (si possible !) magnifier le corps de sa femme et le mystère qu’il y a entre eux deux. Ainsi, toutes les trois pages, les photographies de Catherine M., prises par M. Henric, se succèdent. Tout cela tient du loufoque : il la « flashe », la « mitraille » dans une gare espagnole, un cimetière, une décharge. En escarpins (position levrette), Catherine bronze sur les rochers. La voici dans une chambre de la Villa Médicis, à quatre pattes sur un buffet, un casque de moto vissé sur la tête. Ailleurs, elle écarte les jambes en -pardonnez l’expression mais quelle autre conviendrait ?- tirant une tronche d’enterrement. A contempler ces clichés dignes d’une jaquette de Swing magazine, on a l’impression que Catherine M. viendrait tout simplement de lire le dernier numéro d’Art Press. La partie affligeante de l’ouvrage réside principalement dans son texte. M. Henric s’y dépêtre comme il peut avec la philosophie, la littérature, la théologie et la peinture. L’auteur de La peinture et le Mal n’hésite pas, au passage, à revisiter sa propre bibliographie, si forte, tellement incomprise ; il n’est pas, non plus, exempt de quelques petits délires dont l’insignifiance émeut plus qu’elle n’irrite : « Ciao les héroïnes imprenables, amies de l’homme : Iseut, Chimène, la Juliette de Roméo (pas celle de Sade)…, je vous vois mal posant devant mon objectif. Bonjour la Merteuil ! ». En effet, on les imagine mal. Quelle est l’impulsion qui a pu entraîner pareille négation de la pensée ? La frime d’un toutou frétillant de signaler, entre deux flexions ridicules, qu’il a un « Leica » et aussi une « Jeep Wrangler » ? Un légitime complexe d’infériorité devant les plus grands (signalons que M. Henric n’hésite pas à venir taper l’épaule de Joyce et Courbet d’un air entendu ; car la cause, avec lui, est toujours entendue !) ? Ou bien est-il mû par le désir d’appartenir au club très privé des révolutionnaires ?
Il y a quelque chose de très grave qui se dessine au travers d’un tel ouvrage : l’impression qu’un très grand nombre de lecteurs, ou d’artistes à venir, héritiers ni de Tel Quel, ni de l’Académie, encore moins du nombrilisme et de la superficialité ambiants, serait pris pour des ignorants et des culs-terreux. Jacques Henric, qui a mal digéré les plats de l’esprit et de la sensibilité sous toutes leurs formes, vient de lui roter à la figure. « (…) le programme de la fabrication des imbéciles est déjà commencé, et mis en route » annonce-t-il avec pessimisme. Nous n’hésiterons plus, après un si grand travail, à l’y faire figurer en tête de liste.