On aurait pu craindre que le titre français, pour le moins explicite (la version originale, autrement plus concise, dit simplement Trumpet), ne ruine dès la couverture l’intrigue de ce premier roman qui, par ailleurs, confirme l’intérêt suscité chez nous par la littérature écossaise, d’Alasdair Gray (dont on a -enfin- pu lire l’extraordinaire Lanark l’année passée) à Andrew O’Hagan (Le Crépuscule des pères) en passant par James Kelman et toute la clique du label « Rebel Ink. » (Duncan MacLean, Irvine Welsh et consorts). Née à Edimbourg au début des sixties, Jackie Kay, repérée par la critique anglo-saxonne pour trois recueils de poèmes, ne semble toutefois se réclamer d’aucune filiation ou proximité clairement identifiable : si son rythme et sa langue tendent à la rapprocher des jeunes voyous qui font la vitalité du roman écossais d’aujourd’hui, l’originalité de son histoire et le monde auquel elle tente grâce à elle de se raccrocher l’en éloignent aussitôt. Le monde en question est celui, tout en brumes alcoolisées et demi-teintes bleutées, de la mythologie jazz ; l’histoire, elle, est celle de Joss Moody, célébrissime trompettiste noir qui souffle sa dernière note sur son lit un jour de juillet 97. Stupéfaction : Joss Moody était une femme. Sa compagne, Millie, était la seule à partager son secret ; son fils adoptif, Coleman, est abasourdi. Une journaleuse tête-à-claques se met en tête de reprendre l’histoire depuis le début et commence son enquête en transportant sa soif de commérages impudiques et son extraordinaire opiniâtreté chez tous ceux qui ont côtoyé ce dandy magnifique, élégamment engoncé dans des costumes de prix, la poitrine comprimée derrière un insoupçonnable réseau de bandelettes et trois ou quatre couches de tissu.
Si sa plume galopante et sa prose volontiers « bad girl » peuvent agacer, Jackie Kay n’en parvient pas moins à créer autour de ce Moody déjà légendaire une étrange atmosphère faite de flou et de mirages. L’imagerie conventionnelle du jazz (fumées, notes bleues, vapeurs alcooliques et destins fracassés) est ici curieusement déplacée loin de la 7e avenue, au coeur d’une Ecosse froide et noyée dans la « soupe de brouillard », Joss incarnant en quelque sorte, par sa double ascendance (père noir, mère irlandaise), ce mélange mystérieux de mythe urbain et de Highlands arides. On pourra y chercher une improbable variation sur la confusion identitaire de l’Angleterre d’aujourd’hui ou, peut-être, les portraits d’une femme et d’un fils face à l’inouï, mais la force du roman est ailleurs ; c’est avant tout sa poésie brumeuse qui fait le charme de ce texte mineur mais original. A lire round ’bout midnight, bien entendu.