Ancien rédacteur du magazine clandestin Revolver, signataire de la Charte 77, poète, parolier pour des groupes rock, icône contestataire de l’underground pragois et acteur important des événements de l’hiver 1989 en Tchécoslovaquie : c’est une figure de la contre-culture de l’Est qu’avait permis de découvrir, voici trois ans, la traduction de son roman Ange exit, paru en 1995 en tchèque (son premier livre, Sestra, reste pour l’heure inédit en France) et détonateur à l’époque d’un beau barouf dans le pays de Monsieur Havel. C’est que le jeune homme, né en 1962 dans une famille où l’on connaissait la signification des mots « écriture » et « dissidence » (son grand-père était l’écrivain Karel Schulz, son père le dramaturge et opposant Josef Topol), n’y tenait pas tout à fait le discours que l’on attendait de lui et ne se privait pas pour dépeindre l’ère du post-communisme dans toute sa misère : putes, camés, dealers et mafiosi en tous genres pullulaient dans son roman comme autant de plaies saignantes sur une peau que l’on aimait ailleurs à se représenter en plein et sain développement, l’étouffoir totalitaire d’hier le cédant à une anarchie qui, pour n’être sans doute pas aussi détestable, n’en restait pas moins particulièrement violente.
Avec Missions nocturnes, son troisième roman, Topol abandonne la jeune République tchèque pour en revenir à la Guerre Froide et à l’une de ces rares failles que le béton soviétique ne parvint pas à étouffer dans l’oeuf, voici plus de trente ans : le 21 août 1968, les forces du Pacte de Varsovie pénètrent en Tchécoslovaquie et matent le Printemps de Prague et le « socialisme à visage humain » de Dubcek avec toute la délicatesse de leurs blindés. Topol avait six ans à l’époque. Ondra, le héros avec les yeux duquel il revisite les événements, en a peut-être le double et, séparé de ses parents, se retrouve avec son petit frère dans un patelin où il devra se prendre en charge lui-même. C’est-à-dire se repérer de son mieux dans le chaos ambiant, entre les rumeurs invérifiables que propage la crédulité populaire et la confiance très relative qu’il peut accorder à ce que raconte les adultes (étonnante galerie de portraits), et préserver pour son frère (« le Petit ») l’apparence de la normalité et d’un contrôle à peu près suffisant de la situation. Ondra ne comprend pas tout, mais est assez lucide pour percevoir les petites lâchetés de ses semblables face au Léviathan politique et à un système où il est davantage question de se ménager une niche égoïste que de changer la face du monde. Le parti-pris de Topol, s’il lui permet d’entrelacer vision historique et aventure intime et de dresser un astucieux parallèle entre mise à mort de l’utopie (le Printemps de Prague qui s’achève dans la souffrance) et brutale sortie du monde de l’enfance (l’innocence trop tôt envolée d’Ondra), n’évite pas toujours les écueils de l’émotion forcée et des clichés juvéniles ou adolescents. Malgré la sobriété qu’il parvient à préserver, l’écrivain ne trouve pas sans mal le point d’équilibre entre histoires et Histoire, la dimension intime phagocytant parfois le regard sur le monde, la tendresse un peu banale prenant le pas sur le cauchemar du retour forcé à l’orthodoxie post-stalinienne.