10 romans et 21 ans après le phénomène Trainspotting, Irvine Welsh est resté cette icône de la « chemical generation » et une référence pour une nouvelle génération d’écrivains. Avec son neuvième roman, Crime, publié aux éditions Au Diable Vauvert, il se délocalise aux États-Unis et abandonne ici ses gimmicks d’écossais working-class. Celui que l’on compare souvent aux écrivains américains Bret Easton Ellis et Chuck Palahniuk, livre avec ce roman un thriller à l’américaine. Courses poursuites, grands espaces et vilains flics sont au rendez-vous.
Une Ordure, Crime & l’Amérique
Vous définissez Crime comme un « thriller existentiel », vous pouvez nous en dire plus ?
C’est un thriller « existentiel » parce que le personnage, Ray Lennox, se bat aussi contre lui-même. Au début, il ne peut pas aider qui que ce soit parce qu’il ne peut pas s’aider lui-même. C’est seulement quand il arrive à comprendre ce qui lui est arrivé personnellement, qu’il commence à fonctionner et à arranger les choses. Les menaces extérieures et intérieures sont liées dans leurs résolutions.
Le héros de Crime est un inspecteur de police, tout comme dans Une Ordure. Est-ce que vous avez essayé de vous immerger dans ce milieu pour écrire ?
Non, je ne voulais pas écrire de roman procédural, ça ne m’intéressait pas. J’ai un ami dans la police et il me donne quelques informations. Je préfère construire mon histoire sur un personnage plutôt que sur son milieu. Je n’aime pas vraiment les romans policiers, en fait. Dans tout ce que j’écris, le ou les personnages sont les moteurs de l’intrigue. Pour écrire Crime, j’ai parlé à des victimes d’abus sexuels et à des criminels sexuels que j’ai rencontrés en prison ou à travers des associations. La moitié d’entre eux s’apitoyaient sur leurs sorts et l’autre moitié étaient des gens très arrogants. Dans tous les cas, je me suis vite aperçu que ces pédophiles n’étaient pas intéressants pour moi, je ne pouvais pas les transformer en des personnages dramatiques dans un roman, ils n’avaient pas ce potentiel d’évolution qui fait un bon personnage. J’ai décidé que le roman ne serait pas sur ces prédateurs, ils n’hériteraient que d’une petite partie, d’ailleurs le personnage du pédophile dans Crime n’est pas vraiment développé. Mais j’ai rencontré des gens qui avaient subi des abus alors qu’ils étaient enfants, et ils étaient tous passionnants parce qu’ils avaient décidé d’aller de l’avant. La plupart d’entre eux sont passés par des dépressions, des crises d’angoisses, des comportements autodestructeurs, mais ils n’ont pas laissé ces évènements les définir. Je m’attendais à rencontrer des gens traumatisés mais même si c’était très dur de les écouter, c’était aussi édifiant de les voir se reconstruire. Ils m’ont raconté leurs histoires de façon factuelle, sans émotion. Une des choses qui m’a frappé était que ceux qui avaient été sexuellement abusés de la pire des manières, avec un côté rituel, ces gens s’en étaient remis. Et d’autres, qui avaient été, par comparaison, « moins » sévèrement abusés, étaient parfois beaucoup plus traumatisés. J’ai choisi de construire un personnage comme ça. Lennox a subi une agression « mineure » en comparaison de Tianna ou de son ami Les, et pourtant il en est bien plus affecté. Cet événement définit son avenir. On ne sait pas ce que Tianna va devenir mais elle semble être forte, ce que Ray n’est pas. C’est le personnage principal et il devient cette sorte d’ange gardien mais en réalité il est aussi le plus fragile de tous, celui qui pourrait s’écrouler le plus facilement.
Vous aviez renoncé à l’écriture de ce roman après l’affaire Maddie McCane.
Oui, j’ai trouvé ça très difficile de continuer à l’écrire dans ces conditions. L’histoire de Maddie McCane faisait la Une de tous les journaux. Je me suis senti pathétique d’écrire une fiction sur ce sujet alors que cela correspondait à la réalité de certaines personnes. Ça m’a vraiment touché et je me suis demandé qui j’étais pour écrire une fiction sur ça. J’ai pensé qu’il fallait laisser ces histoires à la police, et que c’était bien trop horrible pour qu’on écrive dessus. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à me poser les bonnes questions pour écrire ce roman, et finalement je me suis dit que je devais y revenir.
« J’avais l’impression que la vérité imitait la fiction »
Vous aviez construit le personnage du pédophile en vous inspirant de Jimmy Savile dans Lorraine Goes to Livingston. Pourtant, c’était en 1996.
J’avais entendu des rumeurs sur Savile et les filles des hôpitaux qu’il visitait… La personne qui m’en avait parlé n’était pas le genre de mec à dire des conneries, mais je ne savais pas trop si je devais le croire ou pas. Les gens adorent lancer des rumeurs sur les célébrités et il avait un style bizarre, il était étrange, mais tout le monde était très original sur Top of the Pops. C’était bien connu que la police ne pouvait rien contre lui, il donnait énormément d’argent aux hôpitaux et en faisait gagner énormément à la BBC. J’ai juste extrapolé les rumeurs et j’ai créé un personnage « savilesque », cela reste un personnage de fiction. Je me souviens avoir regardé Top Of The Pops chez moi et mon père avait une haine viscérale contre Jimmy Savile que je ne comprenais pas bien. C’était vraiment bizarre quand la vérité a éclaté parce que j’avais l’impression que la vérité imitait la fiction.
« Encore aujourd’hui, la littérature Britannique, c’est beaucoup de gens de la middle-class qui tombent amoureux »
Crime se passe à Miami et on vous compare souvent à des écrivains américains comme Chuck Palahniuk, Bret Easton Ellis ou Hunter Thompson. Quelle est votre relation à la littérature américaine ?
J’ai toujours lu plus de littérature américaine que de littérature britannique. J’avais l’impression que la littérature américaine était plus diverse, les romans parlaient de plein de classes sociales différentes. Il y a les romans du sud avec Faulkner et les autres, et puis les romans cosmopolites de New-York, et les expérimentations californiennes… Il y a énormément de voix différentes aux États-Unis. Toutes les classes et toutes les races sont représentées. C’est un territoire beaucoup plus fertile, socialement et culturellement. La littérature britannique est plus upper-class, j’adore certains auteurs anglais mais en terme de représentation de classe, c’est limité. Encore aujourd’hui, la littérature britannique c’est beaucoup de gens de la middle-class qui tombent amoureux. La littérature américaine a été une libération pour moi.
La critique de Crime publiée dans le New-York Times dit « probablement par désir de versimilitude, la prose a été américanisée, décolorée ». Est-ce que vous pensez que votre style est différent dans ce roman ?
C’est intéressant qu’ils préfèrent ma plume écossaise ! Je ne pense pas que mon style soit différent, j’ai utilisé les outils que je trouvais utiles pour cette histoire là. Si j’avais écrit Crime à la première personne, avec des expressions d’Edinbourg, un accent écossais, cela aurait joué sur le sérieux de la narration, ça m’aurait empêché d’écrire un thriller. Quand vous approchez ce genre de sujet intense, grave, vous avez la responsabilité de faire quelque chose de divertissant, quelque chose qui vous permet de rester accroché pour que les gens puissent s’immerger dans l’histoire sans devenir dépressif. C’est difficile à faire avec seulement une ou deux voix narratives.
Vous créez pour la première fois des personnages américains, en quoi sont-ils différents ?
Crime se passe aux États-Unis mais je pense que cela reste un roman très écossais. Je voulais traduire cette impression d’être écossais, de partir de cet endroit sombre et humide pour arriver à Miami, en plein soleil, en short et en tongues. Tout est si différent. Ray se sent un peu mieux mais à l’intérieur il est dévasté, à terre. Sa fiancée aussi enfouit ses sentiments, elle ne pense qu’au mariage pour oublier le reste. Le magazine de mariage représente sa dernière ceinture de sécurité. Je voulais recréer cela au travers des yeux de Ray, les yeux d’un étranger qui débarque, c’est pour cela qu’il y a plus de description que dans mes autres livres.
Dans mon nouveau roman (The Sex Lives of Siamese Twins, sorti le 1er mai), les deux personnages principaux sont deux femmes, américaines et beaucoup plus jeunes que moi. Il n’y a aucun personnage écossais ! Avec ce genre de personnages, il y a un gros travail à faire…
Le personnage principal de Crime, Ray Lennox, était déjà présent dans Une Ordure. Cependant, il était un personnage secondaire, un jeune policier paumé, accro à la coke et influençable. Comment avez-vous envisagé son évolution pour en faire l’inspecteur de police autoritaire de Crime ?
Ray a vieilli mais il est toujours un peu faible. Entre Une Ordure et Crime, il s’est joué du système. Il a eu la promotion qu’il convoitait parce qu’il a su analyser le système. Quand vous écrivez un roman, vous créez des personnages qui vont servir cette histoire-là. Ce sont des outils. Ensuite, vous finissez ce roman, vous rangez les outils dans la boîte en pensant que vous ne les utiliserez sûrement plus jamais. Quand j’ai commencé à écrire Crime, je me suis dit « bon, j’ai besoin d’un personnage pour être cet homme, qu’est-ce que j’ai dans ma boite à outils ? ». J’y ai trouvé ce Lennox, ce jeune flic. Ce que j’aimais chez lui, c’était qu’il semblait avoir des secrets, il y avait un mystère. Il cache quelque chose à tout le monde. Je me suis demandé, « pourquoi est-ce qu’il est comme ça ? » Alors j’ai voulu le retrouver des années plus tard, à la fois complétement paumé et au sommet de la hiérarchie. Assez tôt dans l’écriture, j’ai pensé que ce personnage n’était pas vraiment un policier, c’est un mec qui pense être un policier, qui essaie d’en être un mais Lennox n’est pas vraiment un flic. C’est juste un mec en quête de vengeance. À la fin du roman, je ne pense pas qu’il puisse revenir à sa vie de policier. Il a découvert qui il était, sa vraie nature. Il va probablement devoir se concentrer sur les affaires qui le touchent comme celles évoquées dans Crime ou alors il devra passer à autre chose et se construire une vie différente.
La plupart de vos autres personnages principaux (Bruce Robertson, Mark Renton, Sick Boy, les Carl, Andrew ou Terry de Glue…) sont des anti-héros. Ray Lennox est le premier à finir le roman avec un statut de vrai héros.
Oui, j’ai pensé que dans un livre comme celui-ci, plutôt sombre, je me devais d’offrir une dose d’humain et de rédemption au lecteur. C’est libérateur de comprendre pourquoi Ray fait ce qu’il fait, et c’est à ce moment-là qu’il devient une espèce de super-héros. Pus rien ne peut l’arrêter, il n’a plus rien à perdre. Dans un sens, il se fiche de ce qui peut lui arriver.
« Les personnages qui m’intéressent sont ceux qui choisissent d’aller jusqu’au bord du précipice »
Pourquoi est-ce que vos personnages policiers sont traités de la même façon que vos personnages junkies ?
Parce qu’ils sont pareils (sourire). Les gens sont tous les mêmes. Tous les flics ne sont pas comme ca heureusement, la plupart d’entre eux sont assis à des bureaux, ils répondent au téléphone, mangent des donuts… Mais la section des « Serious Crimes » attire un genre différent de policiers. Les flics et les junkies, ils sont chacun à une extrémité du spectre, c’est là que la fiction devient intéressante. Les personnages qui m’intéressent sont ceux qui ont choisi d’aller jusqu’au bout, jusqu’au bord du précipice.
Les chapitres qui relatent l’affaire Britney Hamil sont écrits à la deuxième personne, pourquoi avoir choisi cette forme de narration ?
Je voulais revenir sur le cas de Britney Hamil parce que je voulais que l’on comprenne ce qui a rendu Ray comme il est au début de Crime. Utiliser la deuxième personne est assez rare, je l’avais vu dans un livre que j’ai adoré, The Sound of My Voice de Rob Butlin. Le roman parle d’un alcoolique et ca fait « t’as fait ça, t’es arrivé en retard, tu as bu un verre, tu, tu, tu… », c’est très perturbant, mais c’est paradoxalement intime et distancié. Je voulais recréer cet effet pour exprimer la dépression de Lennox, il rejette cette histoire, il la refoule. En utilisant la deuxième personne, on comprend bien qu’il agit comme si cette histoire était arrivée à quelqu’un d’autre. J’ai fait quelques essais et j’ai bien aimé l’impression que ça donnait.
Vous utilisez également le point de vue Tianna, 11 ans. Est-ce que là aussi, vous avez été inspiré par des écrivains qui ont utilisé la perspective d’un enfant dans des circonstances tragiques ?
Je pensais que le lecteur devait pouvoir avoir accès à sa voix aussi car elle est un des personnages principaux, mais je ne voulais pas trop l’utiliser non plus. C’est une enfant, il y a tellement d’autres choses auxquelles elle pourrait penser. J’ai écrit beaucoup de passages de son point de vu que je n’ai pas utilisé, je voulais que l’attention reste principalement sur Lennox. Si j’avais écrit tout le livre à travers la voix de Tianna, c’aurait été très pénible et bouleversant. Sa voix ajoutait beaucoup de profondeur mais le roman perdait en force de narration. Il n’y aurait pas eu une progression, un parcours aussi marqué. Je ne voulais pas que ce roman soit trop déprimant. C’est déjà un livre assez dur, je voulais faciliter un peu la lecture en évitant l’overdose.
Revenons brièvement à Une Ordure. Comment est-ce que vous est venu l’idée de cette double narration entre votre personnage Bruce Robertson et ce verre solitaire à l’intérieur de son estomac ? Elle est d’autant plus marquée et inhabituelle que la narration du vers se place graphiquement au-dessus du texte de Robertson.
Vous saviez qu’un vers solitaire pouvait grandir jusqu’à plus de quatre mètres ? Comment est-ce qu’on peut avoir un vers de quatre mètres à l’intérieur de soi quand on fait qu’1m80 ?
J’aimais l’idée du vers parce que c’est un gros parasite, et que Bruce Robertson était également un gros parasite dans la police. J’ai choisi que ce soit visuellement choquant parce que je voulais que le lecteur soit vraiment intrigué par ce que le vers pouvait avoir à dire, et finalement c’est lui qui nous en apprend le plus.
Il n’y a pas beaucoup de personnages féminins dans vos romans.
C’est vraiment pour rester honnête et réaliste par rapport à mes thématiques. J’ai beaucoup écrit sur des bandes de mec drogués et paumés et il n’y a pas de fortes personnalités féminines près d’eux. Les femmes les fuient ! Les petites copines des mecs de Trainspotting, elles les ont toutes quittés. La femme de Bruce Robertson l’a quitté. Il faut être honnête, je ne peux pas créer le personnage d’une femme au milieu de toute cela juste parce que ça fait bien. Les personnages qui restent dans l’entourage de ces gens sont aussi paumés qu’eux, ce sont des victimes. Trudie dans Crime est également dans un état mental perturbé, elle refoule toutes les difficultés et devient complétement obsédé par le mariage. Mais elle n’est pas loin de s’enfuir aussi… Au delà de ces considérations réalistes, je n’ai pas de problème avec les personnages féminins. J’ai écrit une série qui s’appelait Wedding Belles sur quatre femmes de Leith. Dans mon nouveau roman, il n’y a quasiment que des personnages féminins.
« Dans le roman que je viens de finir, j’ai repris le personnage de Juice Terry, de Glue«
Vos personnages ont souvent des goûts musicaux assez tranchés. Est-ce que c’est une façon pour vous de les définir ou est-ce que vous calquez simplement leurs goûts sur les vôtres ?
Grand dieu, non, ce ne sont pas mes goûts ! J’attache beaucoup d’importance à leurs goûts musicaux. Ce que je fais d’habitude, c’est une playlist par personnage. Ca m’aide à rentrer dans leurs têtes, à les développer. Pour Bruce Robertson ce n’était pas facile à écouter, il avait des goûts désastreux. Dans le livre que je viens de finir, le personnage est un taré – j’ai repris un ancien personnage, Juice Terry, de Glue – il n’aime que deux choses. Uniquement deux. Il aime les Guns’n’roses mais pas les premiers albums comme tout le monde, non, lui il aime les Chinese Democracy et ces trucs mauvais, il est complétement obsédé par ça. Et il aime Marlow. C’est une combinaison assez bizarre. Mais ce côté musical m’aide, je peux définir et connaître mes personnages sur un autre niveau.
L’après Trainspotting & Skagboy
En 2012, vous avez écrit Skagboys qui précède Trainspotting. Est-ce que ces personnages vous manquaient ?
Oui, ils me manquaient. J’avais beaucoup de notes de l’époque de Trainspotting que je n’avais jamais utilisé. Trainspotting était l’histoire de comment ces mecs ont essayé d’arrêter l’héroïne et dans Skagboys je voulais raconter comment ils avaient commencé. J’avais aussi envie d’écrire un roman qui se déroulerait dans les années 1980, alors je suis retourné dans ma boite à outil et qui j’y ai trouvé ?… Je pense que ces personnages là étaient mes meilleurs outils pour raconter cette histoire.
Dans Trainspotting – et dans la plupart des livres que vous avez écrits par la suite – vous utilisez un dialecte d’Edimbourg, pourquoi est-ce qu’à l’époque de ce premier roman, vous avez décidé de faire ce choix ?
J’avais commencé à écrire Trainspotting dans un anglais plus classique, parce que c’était comme ça que l’on est censé écrire. Ca semblait vraiment plat. C’était mal écrit et ça n’exprimait en rien ce que les gens autour de moi ressentaient et ce que moi je ressentais. J’ai commencé par réécrire certains des dialogues en bad scot – que j’ai parfois carrément inventé – et puis j’ai fini par modifier la narration aussi pour qu’on ait l’impression d’être dans la tête des personnages. Ca semblait plus naturel.
Qu’est-ce que Mark Renton et ses amis feraient aujourd’hui ? Est-ce que ce serait envisageable que vous les réutilisiez encore ?
Je n’ai aucune idée de ce qu’ils feraient aujourd’hui, mais c’est une question que je me pose et qu’on me pose souvent… Il y a des chances que j’écrive à nouveau sur eux, mais pas tous ensemble. Je n’arrive pas à les imaginer aujourd’hui tous dans la même pièce ou faire la même chose. Individuellement peut-être, j’ai quelques notes.
Pour écrire Skagboys, vous avez dû relire Trainspotting presque 20 ans après l’avoir écrit.
Oui et c’était une expérience horrible. En relisant mes vieux romans, j’y vois tous les défauts, tout ce que j’aurais pu faire différemment, mieux… Ca me fait ça avec tous mes romans, après quelques années. Je suis obligé de les relire quand ils sont adaptés au cinéma. Aujourd’hui, je les accepte pour ce qu’ils sont mais je n’ai pas envie de les relire. C’est un peu comme être un détective, avoir un partenaire différent et enquêter sur des crimes qu’une version androïde de vous a commis il y a longtemps. C’est une sensation bizarre.
« Beaucoup d’écrivains m’ont influencé, pour la génération suivante, autant que ce soit moi ! »
Malgré ce que vous pensez de Trainspotting aujourd’hui, c’est un roman qui a eu beaucoup d’influence sur une génération de jeunes Britanniques et certains d’entre eux sont même devenus écrivains…
Je me sens vieux, c’est horrible. Ce sont des choses qui arrivent, beaucoup d’écrivains m’ont influencé moi. Pour la génération suivante, autant que ce soit moi !
J’ai correspondu avec quelques personnes qui avaient lu Trainspotting mais je correspondais particulièrement avec un jeune garçon qui était emprisonné pour des délits mineurs. En prison, il a lu le premier livre de sa vie, Trainspotting donc, et il m’a écrit. Quand il est sorti, il a fait un doctorat, et il est devenu universitaire, il est professeur de lettres modernes. C’était clairement une sorte de génie, cette passion était en lui, elle aurait très bien pu être déclenchée par la lecture d’un autre livre. Il n’avait simplement jamais eu la chance de lire parce que son environnement culturel ne le lui permettait pas.
Vous aussi, avez été professeur, à l’université de Chicago.
Oui pendant six mois il y a dix ans. Je n’ai pas aimé ça. J’ai juste fait ça pour avoir le visa, c’était plus simple. Je crois que quand vous êtes écrivain, vous aimez écrire, pas forcément l’apprendre aux autres. Cela dit, je vais peut-être recommencer à l’automne, je vais donner quelques cours dans une autre université à Chicago, mais ce seront des petits cours sur le storytelling dans les romans et les scénarios.
« Margaret Thatcher est le cinquième Skagboy ! »
Margaret Thatcher occupe une place importante dans votre bibliographie et particulièrement dans Skagboys, qu’avez-vous pensé du film de Phyllida Lloyd (La Dame de Fer, 2011) et des réactions à sa mort ?
Elle est le cinquième Skagboy ! Elle a été notre méchante préférée. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’étais d’accord avec la réaction collective, ce n’est pas correct de célébrer la mort de quelqu’un, mais toutes ces fêtes spontanées dans les rues, c’était hilarant. Elle a causé beaucoup de misère. On découvre quelque chose d’intéressant dans le film, c’est qu’elle a été complétement lésée par le Tory Party, ils l’ont rejetée. Elle a été au pouvoir pendant 9 ans et elle est morte 21 ans après, et pendant tout ce temps, elle a erré seule chez elle comme un fantôme. Elle était protégée par des assassins que l’on payait très cher jusqu’à sa mort. Elle aurait probablement été impressionnée par cet esprit d’entreprise…
Le Cinéma
« Ecrire un scénario comparé à un roman, c’est de la peinture rupestre »
Depuis quelques années, vous écrivez aussi des scénarios. En quoi est-ce différent pour vous ?
Les scénarios sont bien plus structurés. L’histoire est importante mais c’est surtout la structure qui prime. C’est bien plus collaboratif aussi. Quand j’écris un roman, je fais ce que je veux, j’écris jusqu’à ce que je sois satisfait, je le donne à mon éditeur, parfois on travaille sur quelques détails mais au final le produit fini est le mien. Pour un film, le scénario n’est qu’une partie du processus, il y a énormément de gens qui travaillent sur le film. Écrire un roman est une pratique très solitaire alors que pour un scénario, il y a un groupe, des copains avec qui jouer… Mais vous n’avez pas le contrôle absolu sur l’œuvre, c’est une autre implication, un autre état d’esprit. En quelque sorte, écrire un scénario est plus facile. C’est de la peinture rupestre comparé au roman. Un scénario c’est parfois quarante pages.
Toutes les pratiques d’écriture s’influencent mutuellement, parfois j’ai une bonne idée et je me dis « c’est une bonne idée de scénario » et puis finalement je l’écris et je me dis « non, c’est une nouvelle ». Et puis finalement, c’est une pièce de théâtre. Récemment j’ai pensé écrire une nouvelle et au final, on va en faire une pièce.
Est-ce que comme Une Ordure, Crime deviendra un film ?
On en parle oui, c’est en discussion. Jamie (James Mc Avoy qui jouait déjà Bruce Robertson dans l’adaptation d’Une Ordure devenue le film Filth) veut le faire, il jouera Ray Lennox.