La première s’appelle « La foulée verte » : écologie, sauvetage des pingouins, harcèlement d’industriels pollueurs, trips post-hippies et position du lotus. La deuxième, elle, est nommée « Enfance et vaccin » : tiers-mondisme, enfants du Bengladesh, sacs de riz et cause humanitaire. Toutes les deux ont le même statut : celui d’Organisation Non Gouvernementale. Et, pour leur malheur, toutes les deux partagent le même immeuble de standing, avenue du Maréchal Leclerc. Leurs relations sont à l’orage, les signes avant-coureurs ne trompent pas. Il n’en faut pas beaucoup pour que toubibs et écolos s’envoient des invectives et, rapidement, passent à la vitesse supérieure. Bref : la guerre, avec le contrôle de l’immeuble pour enjeu, les coups bas et le sabotage comme armes stratégiques. Et Iegor Gran, avec cette idée minimaliste (son précédent roman, Spécimen mâle, partait déjà de peu), de trousser 170 pages de farce bouffonne et irrévérencieuse, avec le goût prononcé pour la potacherie qu’on lui connaît. Le narrateur, bègue jusqu’au bout des ongles, est stagiaire à la « Foulée verte » : il sera en première ligne dans les hostilités qui opposeront son O.N.G. à celle de l’étage du dessus, et nous racontera tout cela comme un soldat jetterait ses récits de bataille sur le papier en rentrant au camp, la foi militaire au cœur et le patriotisme au bout de la plume.
Bien sûr, le portrait que donne l’écrivain des militants des deux camps ne manque pas de sel : ses écolos sont à ce titre particulièrement gâtés, qui cumulent tous les travers du militant vert de caricature (à commencer par leurs prénoms : Jonas, Ulis, Celsa et compagnie). Gran se délecte à révéler la face cachée de leur belle conscience publicitaire en les faisant un tantinet hypocrites, volontiers mesquins (ils monnayent leur silence contre don déductible…), beaufs malgré eux (pas facile de ne penser aux noirs qu’en tant qu’individus « à la couleur non discriminante », surtout s’ils bossent à « Enfance et vaccin ») et par-dessus tout invraisemblablement immatures. C’est d’ailleurs la limite de cette petite fantaisie au style inégal où l’auteur s’autorise tout et n’importe quoi, quitte à bâcler un scénario comique mais simpliste (la chute, prévisible à cent kilomètres, n’arrange rien), enfilade de gags et de situations ridicules qui ne sont pour lui que le prétexte à un jeu de massacre au terme duquel, cela étant, on ne peut plus regarder les militants associatifs du même œil. Quelques inventions langagières bien vues (tous les écolos disent « bio » au lieu de « bien ») et une hilarante scène de viol plus ou moins inconscient relèvent le niveau, mais elles ne suffisent pas à faire de cet O.N.G. ! comique mais rapide autre chose qu’une petite farce sans conséquences. On l’aurait peut-être aimé moins cartoon et plus cruel.