C’est une histoire de femmes, d’une mère trop jeune pour porter un enfant mongolien… de sa grand-mère, Omi, aux yeux bleus implorant obstinément la mort… de sa mère aussi et surtout (« la mère toute la mère c’était ma mère »), lointaine, « pure défense » enfermée dans ses secrets. C’est l’histoire d’un âge où la fille devient mère à son tour. Et cette histoire se concentre finalement sur le récit d’un conflit personnel, à jamais achevé, dont le héros est l’enfant mongolien, le roi niais de la famille.
En toile de fond, au hasard des souvenirs, apparaissent Alger et ses odeurs de henné, le jeune chien aux trois pattes, abandonné, la petite Roumaine, enfant monstrueuse au bras dévoré, le procès Eichmann, la clinique du « dénouement » où les accouchées algériennes s’en remettent au destin…
Tout au long de ce recueillement autobiographique, Hélène Cixous souhaite simplement saisir les liens au-delà du sang et la responsabilité maternelle qui unissent une mère à son enfant. Elle s’interroge également sur l’adversité et la frontière fragile entre affliction et compassion.
Notre seul grand regret résiderait dans ces lapsus, dans ces termes empesés tanguant entre réflexions philosophiques et psychanalytiques (« Est-ce que je savais moi lorsque je me gardai de le regarder partir, niant tout, (…) niant les faits, les traits, les yeux, la bouche la langue les mains le nez, est-ce que je savais que je le gardai dans moi hors de moi, dès cet instant dans le hors de moi qui fait, au creux miné de ma nuit, un nid où couve pour toujours mon petit niais ? »), mais aussi dans ces mystérieux jeux sur les mots qui freinent la lecture (« tout est de la faute du verbe penser ; c’est à cause de sa construction, de sa façon de ne se construire avec son complément qu’indirectement, par quoi il veut nous signifier son détour et sa précaution »). Comme si le carcan d’une écriture versant dans le maniérisme, affecté ou non, pouvait -en vain- cacher la trop grande souffrance ou la culpabilité de l’auteur.
Et pourtant, cette confession nous ébranle par sa justesse et sa sincérité. On s’attache à cet enfant aux yeux amande, non plus objet de honte ou tout au moins de dérangement, mais « saint de quatre sous, autour de lui la paix, sans le faire exprès (…) ». On se révolte face à cette mère intransigeante, mère de l’auteur, qui ne dit pas tout et ne souhaite pas lutter contre le destin, contre la mort, pour laisser l’enfant s’en aller (« Il valait mieux qu’il meure – dit ma mère la voix égale de ma mère »).
Sans sombrer dans l’auto-flagellation, Hélène Cixous désire seulement comprendre ce qui cristallise cette appréhension respectueuse face à une mère, l’inquiétude de l’enfantement, ou les non-dits étouffant l’acceptation de la « fameuse ligne du mongolien » et les circonstances de la mort de l’enfant. Or, ces interrogations ne dessinent en fin de compte que les contours de la Figure Maternelle : « Je l’ai constaté dans notre famille les femmes redeviennent des mongoliens en vieillissant, c’est ce qui fait leur séduction, c’est ce qui fait mon souci : chaque été j’ai l’impression de voir ma mère entrer lentement un peu plus dans l’excessive gentillesse que je connais. »
La larme n’est plus versée pour l’enfant, mais pour le cœur d’une mère qui ne peut enterrer ses souvenirs douloureux… « il n’en est pas plus mort pour autant, il est plus vrai que je n’ai jamais eu ni perdu mon fils aîné. (…) Il est rustique, il est mêlé à ma circulation, il est tressé à mes racines. »