« Vous savez ce que signifie Spoutnik en russe ? Compagnon de voyage. » Quel compagnon de voyage trouver dans une vie ? Plus important encore : pour quel voyage ? Haruki Murakami se lance dans cette quête, qui sous sa plume résonne de lourds relents d’impossible. Dans une langue claire, tintée de poésie japonaise, de classicisme européen et d’un minimalisme plus américain, il raconte la difficulté de trouver, conquérir, adopter celui ou celle qui sera le compagnon de voyage. Toute construction demande sacrifice, rite fondateur. Celui des Amants du Spoutnik sera bien étrange. Mais les mots nous y conduisent, avec neutralité, avec une distance narrative, froide, ironique, quasi irréelle, qui laisse entendre qu’elle pourrait nous faire toucher au plus près l’intimité de chacun des personnages, mais ne le fait finalement pas, et laisse l’impression de quelque chose d’inabouti, parfois même de banal.
Ils sont trois, trois personnages liés entre autre par leur solitude. Sumire, 22 ans, dont la mère est morte quand elle était enfant, et ses rêves d’écriture. K., narrateur, amoureux silencieux, car la parole parfois peut être fatale, il le sait bien lui qui a passé son enfance réfugié dans les livres et la musique. Et Miu, Coréenne exilée au Japon, dont Sumire tombe éperdument amoureuse, au hasard d’une rencontre. Cette passion subite joue un rôle décisif dans l’histoire de ces trois êtres. Sous son influence, Sumire se transforme, et surtout n’écrit plus. En effet, ce moyen qu’elle avait trouvé de « renouveler quotidiennement l’affirmation de son existence » n’est plus nécessaire. L’écriture est un cheminement qui ne souffre pas qu’on lui préfère autre chose. Sa passion nouvelle étouffe l’ancienne. Les deux femmes partent en voyage en Europe. Quelques lettres envoyées à K., et une nuit, un coup de téléphone : Miu lui demande de la rejoindre au plus vite : Sumire a disparu. On plonge alors sinon dans l’étrange, du moins dans l’insolite. Pour répondre à une unique question : comment parvenir à se rapprocher de ceux qu’on aime, sans se détruire, sans s’effacer. Murakami développe ici l’idée de « l’autre côté du miroir », où serait possible ce qui ne l’est pas dans notre monde, et celle de la vacuité des choses, qui perdent tout sens quand l’absence règne maîtresse.
Alors quel compagnon de voyage, et pour quelles compromissions ? Qui finit par se perdre dans un monde rêvé ? Quelle est la découverte cruciale que nous présente Murakami, sinon celle qui suggère d’accepter les différences, d’apprendre à vivre avec ? Sumire, Miu, K. ont en commun une certaine vacuité, une transparence qui les laisse à la surface des sentiments, malgré leurs aspirations. Rares sont les moments qui les entraînent au-delà de l’ordinaire, ou même de la mièvrerie. Murakami, en conservant toujours le ton si particulier qui a joué pour bonne part dans le succès de ses précédents romans, laisse le lecteur en dehors de l’histoire. Le narrateur, K., le dit dans une de ses interminables discussions avec Sumire : « Les fictions ne sont pas de ce monde. Pour relier une histoire à notre monde à nous, il faut une cérémonie magique, un baptême. » Le baptême des Amants du Spoutnik n’a pas eu lieu.