La quatrième de couverture du Bon larron n’est pas sans évoquer certains mauvais souvenirs – littéraires, s’entend. Quand Gallimard annonce qu’Hannah Tinti ressuscite l’Amérique du XIXe siècle, façon Melville et Twain, avec détour par l’Angleterre pour emprunter à l’inimitable Dickens, on est en droit de redouter le pire. On pense à Flammarion qui en 2006 publiait L’Infortunée, de Wesley Stace, roman estampillé « péché inavouable » par Bret Easton Ellis, et qui mêlait allègrement victorianisme ostentatoire et relents dickensiens (inimitable et donc incontournable) pour un résultat désolant, pastiche grossier et illisible. Forcément, la méfiance est donc de rigueur. Heureusement, avec Tinti, on est dans un autre registre. Le récit de l’américaine (déjà auteur d’un recueil de nouvelles, Bête à croquer, traduit en 2005) emprunte aux poncifs de différents genres et s’impose comme une expérience jubilatoire, dans une explosion visuelle qui mêle aux codes du western une mise en scène et des décors qui rappellent l’esthétique d’un Tim Burton. Et en même temps, tout reste léger, impertinent, ultra-contemporain. Tinti arrange à sa convenance une sorte de gothique baroque, et la couverture de l’édition française s’en fait l’écho.
L’histoire ? Sans trop en dire, les ficelles de départ sont classiques. Ren, orphelin (et manchot, pour pimenter l’affaire) élevé par des religieux, est emmené alors qu’il vient d’atteindre 12 ans par un individu se faisant passer pour son frère aîné. Ce dernier se révèle rapidement être un escroc notoire, et Ren, voleur né, apprend en sa compagnie et celle de son complice, l’ancien instituteur alcoolique Tom, à goûter de la liberté, vivant d’expédients toujours parfaitement malhonnêtes. Plus que cette trame de fond, ce sont les à côté de l’intrigue qui font sa créativité. Car dans Le Bon larron, pendant que les charlatans ordinaires commercialisent leurs élixirs faiseurs de miracles, on pille des cimetières, on détrousse des cadavres, les morts reviennent à la vie, des nains vivant sur les toits visitent les cheminées, d’immenses et sombres fabriques produisent à la chaîne des pièges à souris tandis que le maître de la ville fait régner la terreur… Chez Tinti, il y a, en même temps que de la foire au monstre, cette appétence à multiplier les rebondissements, à laisser l’histoire filer dans tous les sens, quitte à friser l’absurde. Bien entendu, aussi et parce qu’il faut bien qu’il y ait derrière tout ce fourmillement un socle solide sur lequel s’appuyer, Le Bon larron est le récit d’une quête, façon roman d’apprentissage, fondé sur les notions de pardon et de rédemption, mais sans aucun sentimentalisme. La potion magique de la native de Salem surprend, et surtout, prend.