Le 1er décembre 1989 avait lieu à Marseille un concert gratuit de Noir Désir. Dans le cadre de la première journée d’action contre le sida, le groupe avait répondu présent à l’appel des organisateurs. Veuillez rendre l’âme était paru quelques mois plus tôt, et rien, à l’époque, ne laissait présager un tel engouement pour ce groupe à qui on attribuait des références encombrantes (Gun club, Doors, sans compter les rappels incessants dans la presse des textes tourmentés, surchargés d’images poétiques, de Bertrand Cantat), mais qui faisait déjà preuve d’une indéniable personnalité. Ce soir-là, j’ai pu assister à un concert où se mêlaient tout simplement élan communicatif et générosité bouillonnante. Les gens « bien » dans l’assistance n’ont pas du tout aimé. Noir Désir ne devait pas être suffisamment poseur à leur goût. Les autres se rendaient à cette évidence : ce groupe pouvait soulever des montagnes. Il se défonça comme s’il avait joué devant dix mille personnes, et un bon cachet à la clé. Plus tard, ils me laisseront une impression identique. Même en jouant dans de plus grandes salles, ils surent, malgré leurs ratages, tirer le meilleur d’eux-mêmes. Et cela, en le puisant chez les autres (le public). Ce don est finalement assez peu répandu dans le rock.
Célébration pour célébration, c’est à un portrait très attachant que nous convie le peu énigmatique H. M. dans ce livre composite (partie interviews, partie récit de leur itinéraire). Sceptique au début de leur carrière, il apprit à aimer ce groupe qui en a sûrement trop fait par moments (et si aucun de ses albums n’est pleinement satisfaisant, il s’est constamment amélioré), mais qui put véhiculer, à tout instant, une part de vérité ou d’émotion intransmissible par d’autres groupes français. Là est l’une de ses grandes réussites. Elle alla de pair avec une politique sans complaisance à l’égard de l’industrie discographique, qui n’a en rien entravé son succès auprès d’un large public. On ne retrouvera peut-être pas de sitôt un groupe français qui concrétisera avec autant de passion et de maîtrise cette synthèse quasi miraculeuse entre la langue française et les sonorités d’un rock international.