Rabelais, Laclos, Le Bernin, Sade ou Bataille se retrouvent dans un même souci de détournement, de transformation, d’exagération d’un savoir consensuel. Le plaisir, quand l’art ne vise que cela et ne prétend à rien d’autre qu’à exprimer la jouissance ou à exciter le rire ou les sens, est un engagement contre la bien-pensance, contre la médiocrité sociale. Ne répondre que du plaisir et de lui seul, suivre cette éthique libertine revient donc à prendre des risques. Il n’est pas étonnant, dès lors, de constater que tous ces orgasmophiles ont été occultés, entravés et censurés. Songeons à cela : le Lagarde et Michard a pourri des générations d’écoliers en présentant un Rabelais muselé, rapetissé, à la voix ergotante, quand à l’étranger, par le truchement d’heureuses traductions, retentissait son rire. Le Bernin à, quant à lui, affronté le mépris de la cour de Louis XIV. Son tort ? Sculpter l’extase.
Laclos, longtemps censuré par les manuels scolaires, a été trahi chaque fois que l’on a adapté Les Liaisons dangereuses au cinéma. Qu’y a-t-il donc d’impossible à dire ? A quoi touchent ces auteurs pour être à ce point les victimes d’un tel acharnement ? Pourquoi Sade inquiète-t-il au lieu de faire rire ?
Guy Scarpetta nous invite à le suivre, pour le plaisir, dans un jeu dont le but est de faire sauter un à un tous les rivets de l’orthodoxie générale jusqu’à ce qu’elle s’effondre et ne laisse plus que l’humble sens premier de chaque chose : le plaisir brut qui procède dans chacune des œuvres étudiées. « Ivresse », « Fougue », « Effervescence » caractérisent ce « plaisir de tête ». Dans ce jeu-là, Scarpetta ne manque pas de pertinence. C’est un travail généreux avant tout, offrant à son lecteur de nouvelles clés de lecture. Qu’il est bon de suivre un intellectuel à rebours de l’intellectualisme ! Sa plume tient d’une transgression joyeuse et, enfin, sans culpabilité. Aussi, n’est-il pas anodin que soit invoqué en dernier lieu Bataille, dont les travaux sur l’érotisme, la religion et la transgression en font une sorte de référent paternel incontournable. Bataille, le très respecté, dont la loi suprême dérange l’hédonisme en postulant qu’il n’y a pas d’érotisme sans culpabilité. Nuage sombre, Bataille reste un trouble fête.
Évidemment, le livre de Scarpetta est un parti-pris contre une bigoterie grandissante, nourri de réflexions d’adulte dans un monde infantilisé où les conflits qui intéressent les masses sont ceux qui opposent une équipe de foot à une autre équipe de foot. « Et le foutre dans tout ça ? » ironiserait Rabelais. Pour le plaisir est un livre dont la lecture entraîne une envie frénétique de relectures ou de découvertes. Comment, après cela, ne pas se replonger dans Sade ou Rabelais ? Des livres qui contaminent, qui font relire avec un tel plaisir, il n’y en a pas beaucoup !
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