Voici que paraissent enfin en français deux livres de Guillermo Fadanelli, jeune auteur mexicain confidentiel, en tous cas peu lu dans d’autres langues que la sienne. Pourtant, Fadanelli mérite de sortir de l’anonymat. Il participe à n’en pas douter de cette même veine trash qui depuis quelques années déferle du Mexique, portée notamment par les films de réalisateurs comme Alexandro Gonzalez Inarritu, ou par l’écrivain et scénariste Guillermo Arriaga (Le Bison de la nuit). Autant d’artistes qui accrochent leur pays là où il a mal et le sortent du silence pour le projeter en avant sous des facettes peu reluisantes, un pays qui s’essaie à vivre et à sortir de la misère au mieux, étroitement surveillé par les yeux impitoyables des gringos voisins, inquiets de voir les mouvements de cet univers ingérable.
Ingérable, impitoyable, étonnamment cruel : c’est en tous cas ce qui ressort des deux livres que propose ici Fadanelli, un court roman, L’Autre visage de Rock Hudson, et les brèves nouvelles d’Un Scorpion en février.
Quels que soient les textes, une chose est remarquable : la facilité avec laquelle, en quelques mots, Fadanelli compose un personnage tangible, qui n’a besoin de presque rien pour s’approprier un espace dans le récit, sans rien de superflu. C’est cette dimension des personnages qui immédiatement fait vivre la ville. Tentaculaire et crasseuse dans L’Autre visage de Rock Hudson, on y voit vivre le même quartier au fil des pages, avec ses hôtels miteux, ses maisons étroites, ses immeubles lépreux et les gens qui grouillent de portes en portes, s’effacent dans la nuit, se taisent, armée aux aguets dont les silences assurent la pérennité. De cet univers décalé se dégage quelque chose d’envoûtant, malgré la misère, le sordide, la violence, à moins que ce ne soit justement à cause de tout ça. Car la ville qui se livre ici est la Mexico des bas-fonds, avec ses trafics, sa drogue, ses armes, ses hommes, une ville où vivre simplement est un défi chaque jour renouvelé. Un défi auquel se trouvent confrontés les trois figures qui arpentent les pages du roman : Johnny, Carrillo et Rebecca, trois personnages qui revivent tour à tour les voies de tragédies qui les dépassent, sans qu’aucun espoir ne vienne atténuer la dureté des mots.
Un Scorpion en février n’est pas en reste. Une vingtaine de nouvelles constituent le recueil, deux, trois pages maximum pour dresser des portraits, éclairer des microcosmes, donner vie, explorer l’humanité, ses sentiments, ses paradoxes. Tout ce qui, dans des sociétés qui bien souvent semblent vouloir noyer ceux qui y évoluent, est à même de faire bouger les gens. Il peut s’agir d’envie, d’ambition, d’orgueil, de jalousie, de colère, d’humanité parfois, ou de désir. Autant d’électrochocs capables en un instant de créer et débloquer une situation. C’est une écriture sèche, brutale et incisive qui donne vie aux écrits de Fadanelli. Une façon de voir le monde et ceux qui le peuplent sans rien laisser passer, sans rien oublier, un art de portraiturer des existences banales, une envie de donner vie ailleurs que dans la seule réalité. Son talent, ce qui peut le distinguer d’autres auteurs trash en vogue, est aussi là : dans la sobriété avec laquelle il raconte, dans l’honnêteté de ses personnages, dans leurs caractères, sans fioritures, impeccablement vrais. Et si il est vrai que Fadanelli dans ses textes ne fait aucune concession, force est de constater que c’est ce qui lui permet de trouver in fine tout son poids, d’arriver au bout avec un tel impact. Attendons donc la suite, impatiemment.