Si Guillermo Arriaga est capable comme personne de raconter un Mexico quartier sud, c’est qu’ila lui-même grandi dans l’un de ces quartiers, Unidad Modelo. Il en sort pour débuter des études d’histoire puis, devenu enseignant, rencontre Alejandro Inarritu. En 1999, la sortie d’Amours chiennes donne le ton du nouveau cinéma mexicain, qui trouve dans le tandem Arriaga / Inarritu un auteur et un réalisateur emblématiques. Ils signeront ensemble ensuite 21 grammes, puis >Babel. Avant qu’Arriaga, touche-à-tout surdoué, se lance seul dans la réalisation avec Loin de la terre brulée.
Phébus, qui l’a toujours publié en France, sort aujourd’hui un recueil de nouvelles écrites pour la plupart en 1984, la plus récente en 1995 : Mexico quartier sud. Quant à son premier roman, L’escadron guillotine, il paraît en poche chez Point. Dans Mexico quartier sud, on retrouve ce qui faisait l’impact d’Amours chiennes, film typique de l’écriture d’Arriaga. Violence, heurts, rage, clandestinité, misère, voici une voix pour la rue mexicaine. Les nouvelles s’enchaînent, les figures se croisent dans les mêmes lieux, le brave docteur Del Rio rempli ses bons office d’avorteur et de meurtrier et, notable respecté s’en tire toujours, amoral, répugnant et méprisable. Les textes d’Arriaga (une seule page parfois) sont emplis de silences, d’ellipses, ils croquent à vif des personnages souvent inoubliables ; c’est quand on s’y attend le moins qu’en déborde la plus grande part d’humanité, un espoir de la rédemption y compris dans les faits divers les plus sordides.
Parmi les plus touchantes de ces brèves histoires, citons La Nouvelle-Orléans, histoire d’un alcoolique triste et résigné fraîchement débarqué dans le quartier, et qui éveille chaque nuit ses voisins par ses hurlements et ses crises de folie. Ou encore 195, où Serafina promet à Romulo le fils qu’il ne veut pas, qui le fera fuir, qui le rendra fou. Ou bien Le visage effacé, avec ce gamin dont la soeur meurt un jour et dont plus personne ne parle jamais, le silence qui annule jusqu’à l’idée même de l’existence. Et aussi celle de ce père qui tente de se persuader de l’innocence de ses fils, alors qu’il est le seul à savoir qu’ils ont massacré leur cousine, petite handicapée mentale… Autant de portraits qui créent un univers labyrinthique.
L’Escadron guillotine n’a pas grand-chose à voir avec ces récits du quotidien : ce roman évoque la politique du Mexique des années 1920, son histoire brutale, démesurée, fruit de disputes, de luttes. On y découvre Pancho Villa juste après la bataille de Torreon, quand Velasco vient lui porter son invention destinée à emblématiser la Révolution mexicaine : une guillotine, la guillotine parfaite, calibrée, étudiée pour être le parfait instrument de la terreur mexicaine. Velasco le notable, l’étudiant en droit, se retrouve embrigadé malgré lui. Ses pérégrinations le conduisent à travers tout le pays jusqu’à ce que les remords le rattrapent. Arriaga mêle ici cocasserie et humour noir. Le récit culmine, sans doute, au moment où Velasco dans son uniforme de villiste part à la recherche de ses anciennes connaissances, et trouve mort ou porte close… Arriaga est une sorte d’orfèvre, caractérisé par un style ciselé, incisif, mordant. Rien d’étonnant à ce qu’il incarne l’avant-garde des nouveaux écrivains mexicains. Derrière lui, d’autres ont émergé, dans des veines similaires : Fadanelli, Solares, Nettel… Mais Arriaga, bénéficiant aussi du vecteur cinématographique, est incontestablement celui qui a pu leur ouvrir une voie.