Pas assez raffiné, pas assez littéraire, pas assez décadent, tout ce que tu veux coco, mais Graham Masterton t’emballe une bonne frousse comme pas un. Il est toujours plus fun que Dean Koontz, cash, il tire pas à la ligne, avec lui on ne s’ennuie jamais, pas prise de tête, joue pas à l’esthète non plus, moins chichiteux que les autres écrivains d’horreur britanniques.A tel point qu’on le prend souvent pour un américain, quelqu’un de la trempe Splatter d’un Jack Ketchum, Ray Garton ou du défunt Richard Laymon. A tort, Graham Masterton est écossais, né à Edimbourg, en 1946. Aux dernières nouvelles, il vit toujours en Angleterre. Manitou, son tout premier roman fantastique, a été écrit en 1974, à l’âge de 28 ans. Depuis, il règne en maître étalon du thriller surnaturel, pour adultes ou adolescents (la série des Jim Rook).
Le style Masterton, si tant est qu’on puisse véritablement parler de style, est avant tout une question de savoir-faire. Du gore savamment orchestré, un premier chapitre électrochoc, une écriture coup de poing et une bonne dose d’humour au service d’une intrigue fourre-tout qui va crescendo jusqu’à son affrontement final, forcément too much. N’empêche, on ne lâche jamais un Masterton avant la dernière page. Percutant et rapide, l’auteur du Diable en gris bourinne à mort, façon Grosbill accommodant le mythe de Cthulhu à la sauce bazooka, cette bonne blague, pauvre Howard Philip ! Absolument pas cathartique pour un sou, Masterton n’a rien à soigner ; ludiques, ses romans mal dégrossis, essentiellement visuels, lui servent surtout à caser son souci du détail qui tue. On apprécie aussi ses scènes de cul bien torchées, qui ne laissent aucune place à l’ambiguïté. Ancien rédacteur en chef de Mayfair (équivalent anglais de Playboy) et de Penthouse, Masterton connaît bien les attentes de son public, il va toujours droit aux fesses. Avant même d’écrire du fantastique, il est devenu célèbre en pondant des manuels d’éducation sexuelle, les « how to… » books. How to drive your wife wild in bed ? -sacré programme !- s’est vendu à plus de trois millions de copies à travers le monde. Sans fard, il t’explique qu’il s’est mis à écrire de l’horreur lorsque la vente de ses guides sexuels a commencé à décliner. Depuis, pas avare, 200% hétéro, il emballe en diable plus d’une trentaine de romans, main au panier et plus si affinités. Un petit coup rapide, Masterton besogne vite, il branle le premier Manitou en moins d’une semaine, le temps d’une saillie entre deux autres livres, c’est déjà fini ? Dommage, le lecteur, honteux juste ce qu’il faut d’y avoir pris autant de plaisir, en redemande.
En fantastique, son goût pour la récup tout azimut des panthéons démoniaques autochtones lui assure des revenus confortables jusqu’à la fin des temps. On ne se doute jamais à quel point les métèques débordaient de superstitions et de folklores pas possibles avant que l’homme blanc ne vienne leur botter le cul. Y a bon Manitou, Djinn, Sphinx, Tengu japonais, Magie vaudou, y a qu’à se servir, même les Inuits y sont passés (Magie des glaces). Comme il n’est pas raciste, il puise aussi dans les mythologies nordiques (Walhalla) et celtiques (Sang impur, son abominable chef d’oeuvre), ou même chez des auteurs classiques comme Oscar Wilde (Le Portrait du mal), Lewis Carrol (Le Miroir de Satan), James M.Barrie (The Doors), Andersen (Hel) ou Richard Wagner (La Nuit des salamandres). L’entreprise Masterton, sa femme Wiescka est son propre agent littéraire, recycle tout ce qui traîne en Scoubidou adulte survitaminé.
Quoi qu’il en soit, Masterton n’a jamais déçu un éditeur français. Après Néo, Pocket, Lefrancq, Le Cherche Midi (j’en passe et des meilleurs), c’est aujourd’hui le tour des éditions Bragelonne de l’accueillir au sommaire de leur toute nouvelle collection « Ombres », entièrement dédiée à l’horreur (aux cotés de Clive Barker, Jack Ketchum, on en reparle…). Toujours servi par François Truchaud abonné à la trad, sous une couverture pas pire, Le Diable en gris n’échappe pas aux tics et aux défauts coutumiers du romancier.
Le Diable en gris puise directement dans un épisode oublié de la guerre de sécession, la création de la Brigade du diable, un ramassis de confédérés chargé à la Santeria pour semer le chaos et la discorde dans les lignes yankee. Chouette idée que voilà ! Les soldats Rebelles se compromettant avec les démons de leurs esclaves noirs pour aller foutre une pâtée à l’Union. Hélas, au lieu de limiter sagement son propos au seul domaine du western fantastique, Masterton a les yeux plus gros que le ventre, il gribouille un vague thriller contemporain, Cops Gangsta Vodoo, comme d’habitude, il sagouine tout en voulant tout mélanger. Devant un tel gâchis, on se dit que, patience, le jour finira bien par venir où Masterton prendra vraiment le temps d’écrire un vrai roman, avec des personnages dignes de ce nom, une intrigue un tant soit peu sophistiquée et une conclusion à la hauteur. On peut toujours rêver.
Question rythme, le bouquin se lit quasi d’une traite, mais la balance n’est pas toujours très bien équilibrée. Les allers-retours incessants entre les époques (aujourd’hui, le temps du récit policier, hier, le temps de la malédiction) cassent un peu le rythme haletant de l’enquête. Surtout, Masterton s’embrouille joliment les pinceaux dans les fils de son intrigue (qui est le vrai bad guy de l’histoire ? Chango, le dieu de la Santeria ou le colonel sudiste possédé ?). Heureusement que le flic Martin Decker a l’affaire bien en main. On imagine sans mal ce que le carnassier Wings Hauser aurait donné dans le rôle beauf de l’anti-héros mastertonien par excellence, archétype du beau gosse un peu faisandé, sourire Ultrabrite de connivence, refuse jamais de tringler une minette, mais un peu lent à la comprenette, moyen-moyen, limite abruti sur les bords, qui ne se pose pas beaucoup de questions et préfère tout compte fait accepter l’invraisemblable vérité du surnaturel plutôt que de se creuser inutilement le peu de cervelle qui lui sert de raison. Comme souvent, le roman s’achève de manière un peu vaine (et oui, tout ça pour ça !), on n’échappe pas au final hénaurme un peu bâclé, une constante, mais qui ne devrait pas gâcher grand chose pour autant. L’auteur, pas dupe, connaît ses points faibles ; il connaît aussi ses points forts. Il aura largement eu le temps de contenter ses nombreux fans avec ces explosions de violence gore tasty complètement gratuites, dont lui seul a le secret. On apprécie le métier : « Il sentit une traction atroce dans son abdomen et il vit qu’une main invisible sortait son intestin grêle de la cavité de son estomac. L’intestin se dressa devant lui en des mouvements saccadés, semblables à un énorme vers blanc. Il s’éleva de plus en plus haut, puis il commença à glisser autour de la barre du lit, fit plusieurs tours, et s’enroula pour former un noeud. (…) Il essaya vainement de se débattre, mais il fut porté à travers la chambre vers la fenêtre, tandis que ses intestins étaient tirés hors de son corps, mètre après mètre ensanglanté, même s’il s’efforçait éperdument de les maintenir dans son estomac. Il fut soulevé encore plus haut tandis que ses bras et ses jambes s’agitaient frénétiquement, puis il fut projeté à travers la vitre. Il y eut un fracas assourdissant, et il sentit qu’il tombait dans le vide (…). Puis il y eut une secousse horrible qui lui causa une douleur atroce. Il tournoya sur lui-même et se retrouva suspendu dans le vide, retenu par ses propres viscères ».