Thomas le bègue vit de petits braconnages et autres travaux fermiers depuis que son père s’est suicidé, laissant l’ensemble de ses valeurs à Karl, le frère aîné. Entre Karl et Thomas, la vie a creusé un fossé. Le premier mène sa barque, vaque à ses affaires, portant costume et ventre gras, tandis que le second squatte un taudis et se fait exploiter par ses différents employeurs saisonniers.
Quelques années auparavant, Lisi, la première conquête de Thomas, a fini par lui préférer son frère. Quand on a retrouvé le corps défenestré de la jeune femme, la culpabilité du bègue était indiscutable. Le voisinage, les amis, tous savaient, tous se sont tus. Et Thomas a payé pour son frère de quelques années d’hôpital psychiatrique.
Alors, quand se profile alentour l’ombre d’un mystérieux assassin, Karl pourrait bien avoir raison de conseiller à son frère de se séparer de ses armes de braconnage. Les carabiniers enquêtent, réveillant les haines tenaces qui polluent cette région italo-germanique. En phase avec sa propre réalité, Thomas suit son propre chemin, celui de l’amour. Il a rencontré une fille et s’est convaincu qu’elle était la femme de sa vie. Tenant tête à son frère, à ses voisins, il veut rompre avec sa vie antérieure, et enterrer les voix qui résonnent dans sa tête. Mais les voix sont toujours là, et l’assassin n’a toujours pas été retrouvé.
Insupportable joue sur la corde du simplet. Asociale de fait, cette figure récurrente de la littérature est à la fois un élément déclencheur d’embrouillaminis par excellence et une victime idéale. On peut s’y laisser prendre si l’écriture est jolie et l’habillage dramatique digne d’intérêt. Ici, on a cette impression de roman d’été, pas vraiment insipide, parfois touchant, mais trop souvent un goût de déjà vu. L’ensemble est suffisamment bien ficelé pour qu’on se prenne à jouer le jeu de voyeur, retrouvant les questions que posent les innombrables affaires du même acabit dont se régale la presse : le marginal, victime, est-il en fait un fou criminel ? La vérité se trouve-t-elle du côté de la vox populi ? Mais très vite, on regrette certaines pistes qui ne sont pas exploitées, ainsi que des longueurs qui laissent, parfois, une impression de remplissage.
Malgré d’intéressantes mises en situation, Insupportable a tendance à traîner la patte, à chercher sa direction. Les personnages manquent d’un indispensable petit rien pour se distinguer et faire de ce récit un ouvrage réellement attachant. Et si l’on veut parler d’amour impossible, de simplet mené par le bout du nez par une fille sans vergogne, on préférera définitivement la relecture du très bel Eté meurtrier, de Sébastien Japrisot (Folio), dont les personnages et la construction dramatique font désormais référence.