« Le sujet de ce livre, c’est l’amour ». Micha Borisovich Vainberg est un Russe juif de 150 kilos pour pas loin de deux mètres ; Absurdistan est l’histoire de ses déconvenues amoureuses. Riche héritier d’un mafieux international, il dilapide son inépuisable fortune à tromper son ennui. Nouvel Oblomov d’un XXe siècle mourant, il partage avec son illustre modèle un goût immodéré pour l’inactivité la plus confortable possible et pour le jet d’objets sur son serviteur. Les scènes géniales de poursuites bouffonnes, coups reçus et protestations gémies sont autant d’honneurs rendus au chef-d’oeuvre de Gontcharov. Ramené aux temps actuels, cela donne donc un géant russe de nature gentiment apathique qui se fait appeler Snack Daddy, sorte de Shaquille O’Neal blanc qui consacre toute son énergie à représenter la culture hip hop avec son pote Aliocha-Bob et à vénérer le multiculturalisme qui constitue sa véritable religion. Lorsque son père est abattu par un gang rival, Micha hérite surtout d’une interdiction de séjour aux Etats-Unis qui l’empêche de rejoindre sa petite amie du Bronx. Celle-ci tombe par ailleurs sous le charme d’un baratineur de génie, un certain Jerry Shteynfarb, « émigré russe parfaitement américanisé qui était parvenu à utiliser ses douteuses références russes pour se hisser dans les rangs de la fac et coucher avec la moitié du campus par la même occasion ». Après avoir trompé son chagrin avec la jeune veuve de son père, Micha Vainberg part pour un périple à la russe, fait de verres partagés avec ceux qui viennent de le tabasser, de repas gargantuesques, d’attentats commis sur la personne de son valet et d’appels réguliers à son psychanalyste de New York.
Il échoue finalement en Absurdistan, territoire improbable apposé aux rives de la Caspienne, que se partagent deux ethnies rivales, les Sevo et les Svanï. Leur opposition historique concerne l’épineuse question de l’orientation du repose-pieds sur la croix christique. Tous s’entendent toutefois à recevoir Micha en ami, comme le veut la coutume locale concernant les hôtes de confession judaïque. « Il porta la main à son cœur et me dit que les Juifs et l’Absurdistan avaient en commun une histoire longue et pacifique et que mon ennemi était aussi le sien, cependant que sa mère était ma mère et sa femme ma soeur ». Peuplé d’escrocs de diverses envergures, le pays est entièrement dévoué au consortium pétrolier qui en assure officiellement la santé financière. Venu acquérir un faux passeport belge supposé lui ouvrir les frontières du rêve américain, Micha conclut l’affaire dans une ruelle derrière le McDonald’s local. C’est à cet instant précis qu’éclate le conflit armé entre les deux communautés. Précipité dans un réseau d’intrigues qui le dépassent totalement, il est rapidement bombardé responsable de l’amitié sevo-juive par le nouveau gouvernement. Suivant son optimiste indolence, il se met placidement au travail et esquisse les bases d’un projet architectural à caractère éducatif. « Des études ont prouvé qu’il n’est jamais trop tôt pour traumatiser un enfant avec des images de squelettes et de femmes nues pourchassées par des chiens dans la neige polonaise ». Converti au multiculturalisme et à la nouvelle technologie, le personnage de Shteyngart est un Oblomov parfait pour l’époque, désabusé et crédule. Absurdistan est un authentique roman russe.