Peut-on vivre sans passé ? Peut-on vivre en se disant que chaque jour est un nouveau jour, peu important ce qui s’est passé avant pourvu que la vie continue ? C’est la problématique de L’Hiver indien, roman des racines qui, qu’on le veuille ou non, resurgissent toujours dans notre vie. Les racines, ici, sont celle de six Indiens du Nord-Ouest des Etats-Unis : Stud, Percy, Dale, Chris, Howard et Greg, projetés dans un monde qui n’est pas le leur, exclus, en butte à l’incompréhension, vivant une vie qui ne leur ressemble pas. Un jour, Stud rentre chez lui après un long séjour en prison, avec la décision de mener une vie nouvelle, qui ait un sens ; il a arrêté de boire et décide d’abandonner les « virées » avec son frère au volant de son pick-up, les errances habituelles sans but, pour une vie vraie, une vie qui en vaille la peine. Il comprend que le seul moyen de trouver son salut et de survivre à sa misère morale est de reprendre la chasse à la baleine qu’avaient abandonnée ses ancêtres les Makahs, il y a plus d’un demi-siècle.
Les 550 pages de ce roman retracent les difficultés de ces Indiens, les obstacles dressés par des écologistes frénétiques qui ne voient dans cette aventure qu’un prétexte pour massacrer des animaux. Quoi qu’ils fassent, nos six Indiens semblent voués à l’anathème ; ce ne sont, après tout, que des « dégénérés », des « meurtriers », comme on aime à le crier. Leur bonne volonté n’y fait rien ; leur passé, chargé de honte et de crimes, reste gravé en eux comme une cicatrice indélébile. Jamais on ne leur accordera le pardon, jamais on ne leur offrira une dernière chance, celle de se racheter, d’être des hommes normaux, de connaître le bonheur. Cette chasse à la baleine qui pourra sembler étrange, ridicule, voire incongrue, prend une signification symbolique dans leur imaginaire ; au-delà de cette quête des liens avec le passé, il y a aussi, dans cette réconciliation avec la nature, un désir de se désaliéner d’une vie moderne dépourvue d’idéal, où l’ennui ne le cède en rien à la vacuité des jouissances matérielles.
La vulgarité crue des protagonistes pourra heurter, faire aspirer le lecteur à plus de poésie et de beauté. Mais Frédéric Roux a vraisemblablement pris le parti du réalisme pour mieux nous faire comprendre le désespoir de la communauté indienne. Ce livre honnête plaira à ceux qui affectionnent l’histoire des Indiens d’Amérique et s’intéressent à leur sort, mais aussi à ceux qui portent un regard tendre sur les petites gens, les laissés-pour-compte.