« Petit jeu de massacre » : le sous-titre de ce petit livre à épisodes dit bien l’esprit dans lequel l’a conçu Frédéric Klein, normalien stéphanois, amateur de Purcell raisonnablement misanthrope et auteur de deux romans dont l’un (Maniaque, en 1990) inspira un film à Jean-Christophe Averty et l’autre (Tunnel, en 1996) quelques comparaisons flatteuses à la critique (on évoqua Poil-de-Carotte). Dans Perpoly, il nous invite à mieux connaître Perpoly, héros très spécial pourvu de toutes les qualités de l’honnête homme : Perpoly est cynique, provocateur, agaçant, goujat, blasphémateur, mauvais fils, mauvais farceur, mauvais plaisant et un peu pédophile sur les bords. Dans le métro, il paye les musiciens ambulants pour qu’ils aillent jouer ailleurs ; dans la rue, il donne aux touristes anglais les indications topologiques les plus fausses possibles. Il harcèle les gens au téléphone, s’enfonce volontiers les doigts dans le nez, se mouche bruyamment lors des concerts, joue La Marseillaise sur les harmoniums des églises de campagne, fréquente six amantes en même temps, déteste les vieux autant que les jeunes, bref : Perpoly est un brave homme. « Contre tout ce qui est pour, pour tout ce qui est contre, telle est la devise de Perpoly. » Il n’est pas jusqu’à son nom (contraction de « pervers polymorphe », ainsi que l’auront remarqué les lecteurs du Dr. Freud) qui ne soit agréable à l’oreille : ce sont les aventures de cet esprit caustique que nous conte Frédéric Klein dans cette fantaisie satirique où, du héros et de son époque, on a vite fait de deviner lequel lui inspire le plus de sympathie.
Après quatre-vingt pages de mise en jambes durant lesquelles Perpoly est portraituré sous son meilleur profil en une cinquantaine de petites saynètes, Klein fait basculer son destin : les caisses de notre homme sont vides. Il lui va donc falloir travailler, ce qui, on l’imagine, n’est pas sans lui répugner. Son peu de compétences ne lui ouvre guère d’autres portes que celles de l’enseignement : voilà donc Perpoly instituteur, hâtivement chargé par une administration ubuesque d’éveiller quelques têtes blondes. Il s’en sortira si bien que sa hiérarchie, épouvantée par ses méthodes peu orthodoxes (il faut dire que Perpoly ne rechigne pas à s’isoler avec certains de ses élèves pour approfondir avec eux deux ou trois choses), favorisera sa mutation vers des cieux plus attractifs. De l’école, Perpoly passe donc aux collège, lycée puis faculté, échouant finalement sous les lambris des hautes instances du Mammouth éducatif et devenant l’un de ses plus influents gourous. Là, avec le cynisme qu’on lui sait, il s’emploiera de son mieux à consolider les aberrations de la pédagogie officielle, de ses dénégations systématiques du sens commun et son délirant jargon. « Osons enfin l’affirmer, au risque de choquer la vieille garde réactionnaire : le savoir, l’autorité, le savoir imposé autoritairement par l’enseignant à l’apprenant -toutes ces vieilleries n’ont plus de raison d’être dans nos établissements scolaires. »
Les péripéties professionnelles de Perpoly sont diablement amusantes, mais on regrette en refermant cette courte fable que l’auteur n’ait fait d’un si remarquable personnage que le héros d’une satire -certes jubilatoire- de l’Everest de sottise que constituent le plus gros Ministère de France et son armée de fonctionnaires. On devine derrière ce livre cruel une consternante expérience personnelle ; le -petit jeu de massacre- n’aurait-il toutefois pas pu s’étendre à deux ou trois autres travers de notre temps ? Reste à espérer un rapide retour de Perpoly, le héros le plus sympathique de cette rentrée littéraire hivernale, dont l’humour décapant et la saine méchanceté pourraient faire un excellent contempteur de son époque. On en manque, hélas.