Il en surgit parfois, de ces petites comètes anodines qui, en 160 pages, vous refont le monde en ricanant, déballent leur bibliothèque et leurs sarcasmes puis s’enfuient, fiers comme des rois. Frank Deroche, trente ans « et quelques mois », est le dernier prototype d’une longue dynastie de jeunes fanfarons érudits : bille en tête et miroir en main, il entre en littérature comme un pied tendre dans un saloon, avec des ambitions de révolutionnaire en culottes courtes et des blagues Carambar plein les poches. Qu’on y prenne garde : il est prêt à tout broyer sur son passage, et ne prendra ni gants ni pincettes pour dire leurs quatre vérités à ses aînés. Houellebecq, Despentes, Millet, Delerm ou Dustan tomberont donc sous les balles potaches du petit pistolet en plastique avec lequel il compte faire justice des gloires indues et plonger Saint-Germain-des-Prés dans la terreur. Juché sur ses échasses de quatre sous, notre cow-boy de kermesse scolaire ne tire hélas que dans l’eau : plates, un rien pathétiques, ses attaques font moins mouche que pitié (les derniers Duras, lance-t-il avec fracas, « ressemblent à du Nathalie Rheims sous Pertofran » : brillant, non ?).
Quoi d’autre ? Un interminable catalogue de doléances adressé à Etienne de La Boétie, lequel n’avait rien demandé mais se retrouve propulsé au rang d’interlocuteur privilégié du romancier. Heureux homme. Frank Deroche lui confiera ses petits secrets d’hypocondriaque, lui fera partager une philosophie d’un cynisme en plein dans l’air du temps et testera sur lui ce dandysme potache qu’il tient à la perfection. Il l’entretiendra aussi de son corps, dévidera thérapies et médicaments avec la conviction que leur accumulation vaut poésie, évoquera une sexualité qu’il s’émerveille de détester et lui servira sur un plateau d’argent de petites phrases d’une causticité soigneusement étudiée (« Non, Etienne, je l’avoue, je n’ai jamais donné une pièce jaune à Bernadette C*** et David D*** pour les familles des petits cancéreux. Je ne mets pas en doute leur honnêteté, mais je trouve qu’eux aussi méprisent la maladie » : délicieusement impertinent, non ?).
Parodie en sous-main ? Satire de la littérature à fesses (« Je déteste la sexualité », confie-t-il) ? Uppercut au énième degré ? Triple coup pour rien. Frank Deroche surfe sur l’actualité, enfile les noms propres comme des perles, se trempe jusqu’à la taille dans ces flaques de l’autofiction qu’il fait mine de moquer, bâcle péniblement son texte en empilant comme elles viennent ses saillies spirituelles (« Glandes, muqueuses, orifices, sécrétions, comme vous me manqueriez si Michel Garretta ou Jacques Crozemarie renfilaient leur blouse ! ») et ses effets de manche. « Pendant longtemps, j’ai été malade pour intéresser les autres. Maintenant, je ne le serai que pour ceux qui s’intéressent à moi. » Formaté comme il l’est pour son époque, cela risque de faire du monde.