Il y a une certaine forme de courage, voire d’élégance, à publier un roman de facture purement classique à l’heure où tout le monde se croit obligé de donner dans la recherche stylistique tous azimuts : François Vallejo incarne superbement une conception classique de la littérature que beaucoup considèreraient vieillotte, à tort. Au XIXe siècle, un héritier renié réintègre ses terres. Baron malgré lui, il se sépare des domestiques de son père et prône la révolution sociale. Seul rescapé du nettoyage de classe auquel il se livre, Lambert, le garde-chasse. Homme bourru et proche de sa meute, il gagne l’estime du maître grâce aux états de service de son père, « un bleu, tueur de blancs » ; reste que leurs rapports sont faits d’incompréhension mutuelle. Le baron de l’Aubépine désespère de faire comprendre à son serviteur l’intrinsèque beauté de ses idéaux et le fait, surtout, qu’il sera le premier bénéficiaire d’une révolution. En 1848, le maître part pour Paris et participe aux barricades. En son absence, Lambert administre le domaine ; partisan du principe selon lequel chacun doit rester à sa place, il se méfie des aristocrates qui épousent la cause des rouges et craint le baron, noble indigne de son rang. D’autant que le retour de Monsieur s’accompagne d’un enthousiasme renforcé pour les valeurs républicaines. Et l’apparition chez lui d’une étrange manie achève de ternir son image aux yeux de Lambert : visiblement prisonnier d’étranges perversions, le baron moleste ses nombreuses et éphémères compagnes… On jase. Puis l’une d’entre elles disparaît. Le comportement insane de son maître pousse Lambert à le séquestrer dans ses propres murs. Sa dernière lubie, Victor Hugo, l’obsède au point qu’il a fomenté le projet d’enlever le grand homme pour mener le combat à ses côtés. Il ne rentre pas dans les attributions d’un garde-chasse de prendre en charge ce qui relève de la psychiatrie ; l’issue n’en sera que plus définitive.
Avec Ouest, François Vallejo met en place un huis clos d’une rare violence. La dialectique usuelle du maître et du serviteur est vicieusement inversée au profit de Lambert, symbole d’une soumission obtuse mais volontaire. C’est finalement lui qui prend l’ascendant sur de l’Aubépine en cherchant à le façonner à son image. Sa vision du monde prévaut sur celle du baron qui, bien qu’enflammé d’idéal, n’en demeure pas moins terrassé par des peurs plus profondes que celle de la mort. Vallejo instaure d’emblée ce rapport de puissance ambigu par un choix narratif judicieux. Le narrateur omniscient qui ouvre le roman se noie progressivement dans les visions des personnages. Cette sorte de style indirect libre lui permet d’éviter l’agaçante manie du monologue intérieur qu’on nous sert si souvent de nos jours. Chaque protagoniste, et Lambert en particulier, participe à la narration par la mise en scène de ses pensées et propos. Seule véritable originalité stylistique de l’oeuvre, l’auteur manie avec subtilité l’apposition de l’épithète descriptif : ramené en fin de phrase, il délivre toute sa puissance et confère une admirable cohérence au corps de texte. Il plane sur Ouest une ombre entêtante et mortifère qui semble émaner des marais voisins.