Le principal mérite de l’ouvrage de Fouad C. Debbas est de nous inviter à parcourir librement, grâce à une très belle collection de photographies anciennes, l’histoire de Beyrouth depuis le début du xixème siècle jusqu’à la guerre de 14. Histoire d’une ville d’autant plus passionnante qu’elle épouse celle d’un siècle marqué par l’essor commercial et le développement intellectuel.
Les plus anciennes photographies de la ville, réalisées dans les années 1840 par les premiers photographes -alors daguerréotypistes- occidentaux à voyager dans le Moyen-Orient, témoignent de la modestie du Beyrouth du début du siècle. Simple bourgade côtière, à peine connue des étrangers qui se rendent alors à Damas, elle ne compte qu’à peine plus d’une dizaine de milliers d’habitants, vivant essentiellement de la pêche et de l’artisanat. Les routes qui y mènent ne sont encore que des pistes et son petit port, encastré entre deux criques, l’empêche d’accueillir les navires qui commercent alors le long des côtes méditerranéennes. A partir des années 1830, l’histoire mouvementée de la région va transformer le bourg en ville. L’occupation égyptienne, la restauration ottomane, la Nahda (« Renaissance arabe »), les très nombreuses institutions (écoles et universités, églises et couvents, missions et hôpitaux) qui s’y installent, lui apportent une variété culturelle qui accompagne la fulgurante progression des activités commerciales. Ainsi, en quelques décennies, Beyrouth devient le pôle culturel et économique le plus important de Syrie, éclipsant désormais Damas dans le foisonnement des journaux, écoles, artisans, éditeurs, marchands, etc.
Les photographies qui composent l’essentiel de l’ouvrage, extraites d’une des plus importantes collections réunies sur cette ville, donnent à voir l’ampleur et la nature de ces changements : à qui les observe avec un peu d’attention, les panoramiques de la ville révèlent la coexistence des clochers et des minarets, des villas occidentales et des palais arabes, des couvents et des mosquées, etc. Vestiges des époques révolues, quelques personnes se promènent parfois le long d’un rivage abandonné ou au cœur des forêts de pins, plus célèbres alors que les cèdres…
On regrettera cependant que la quasi totalité de ces photographies ne montrent la ville que sous son aspect général et architectural. Le premier livre que les éditions Marval avaient publié dans cette collection, Des photographes à Damas, proposait de nombreux portraits d’habitants, véritable galerie de personnages et d’artisans. Ils permettaient au lecteur de découvrir la vision et les idées préconçues que les premiers photographes-voyageurs européens possédaient de l’Orient -vision qui oscillait entre l’admiration pour les monuments et une certaine condescendance pour une population considérée comme devant absolument être éduquée » à l’occidentale « . Heureusement, au-delà des portraits, les visages de ruelles, de pierres et d’arbres que Beyrouth livre ici au regard dévoilent déjà un peu de l’âme de la ville, mêlant Orient et Occident, harmonie et chaos.