Ce bref essai présente un unique intérêt : il confirme que les soi-disant « grands médias » ne sont que des entreprises commerciales à but lucratif dont la raison sociale est « l’information ». Au fil d’une petite centaine de pages, les fausses lamentations de Florence Aubenas, grand reporter à Libération, nous font comprendre que 1) elle n’est pas responsable ; 2) que si elle est responsable, les autres le sont tout autant qu’elle ; 3) que ce sont surtout les lecteurs et la société qui sont responsables… Les lieux communs et les poncifs s’alignent bien sagement, les complaisances et les affirmations gratuites s’empilent les unes sur les autres, sur fond musical « intellectuel de gauche » au sens où l’entend Libé, ce qui ne laisse maintes occasions de rire du burlesque. Le monde n’est plus un champ en combat, mais le « nouveau dispositif du pouvoir existe d’une façon fractale ». C’est la nouvelle métaphysique. Tirez-en toutes les conclusions que vous voudrez… L’imagination estampillée Libé à propos du monde est assez tordante. Les banalités ont la langue pâteuse, on ne semble pas y douter de grand chose, un curieux sentiment de supériorité néo-missionnaire permet d’enfiler des perles d’autojustifications et de confectionner des colliers de dialectique qui brillent de tous les éclats de la bimbeloterie. Les X, Y et Z (Platon, Althusser, Freud, Aristote, Frege, Gödel, l’École des Annales, Gramsci, Foucault, Debord, Deleuze, Durkheim, les structuralistes) sont convoqués tour à tour, au moins pour les citer, et espérer sans doute en tirer un gage de sérieux sur la compétence du personnel et le professionnalisme du service.
Bref, cet essai « original » (dixit la 4e de couverture) -en fait un simple plaidoyer pro domo– est un argumentaire déformé en faveur de la presse médiocre et vendue qui doit quand même souffrir d’une certaine mauvaise conscience sous l’emplâtre de son cynisme. Le contenu est extrêmement simple : Libé ne serait pas un cas unique de presse spectaculaire, mais c’est toute la presse qui serait assujettie à un système de représentation contraignant à fabriquer de l’information sur mesure. Pour toute réclamation, s’adresser au client-lecteur, c’est à dire à vous-mêmes. Si le courage vous manque, téléphonez à la société en général, et patientez, une opératrice va vous répondre. C’est ici le journalisme bien pensant qui s’exprime, mais ce pourrait être aussi bien n’importe quel service de marketing à la nouveau beauf de Cabu : on bavarde, on critique, on gémit, on se plaint, on prend le parti des consommateurs pas contents, puis on récupère en douce d’un air patelin et on fourgue sa camelote. Car voyez-vous au fond, la vérité, c’est que tout est pareil et que tout se ressemble. Ainsi TF1 et le Canard Enchaîné se retrouvent « aussi bien sur le choix des sujets que sur les ingrédients ». Bien sûr. Et Charlie-Hebdo et Le Monde se seraient alignés sur la même idéologie de la « transparence ». Ma foi… Pour vous convaincre, vous devez savoir qu’il n’y a pas de pensée unique (celle-ci est une invention de journalistes manquant de modestie), mais que c’est le monde qui est unique. Vous comprenez alors pourquoi toute la presse est parfaitement identique et conforme à ce monde unique. Révélation.
Au terme de ce petit essai, il faudra convenir avec les auteurs qu’ « il ne s’agit donc pas de poser le problème en terme faussement shakespeariens : informer ou ne pas informer, voilà la question. » (sic). S’il y a un problème, « ce problème ne peut être résolu de façon technique […] en désignant quelques « bons » coupables (grands médias ou grands patrons) ou […] en décidant d’une nouvelle formule, d’une nouvelle grille, de l’ouverture de tribunes à ceux qui se plaignent de ne pas avoir assez la parole. » Dans ces conditions, il ne reste qu’une solution : aller se coucher sous sa couette et dormir.