Ce n’est pas un livre, c’est de la dynamite. Du concentré d’humour noir à l’état pur. Trois lignes au plus, et qui provoquent le rire aussi irrésistiblement que la moutarde monte au nez : « Allumé par son fils, 5 ans, un pétard à signaux de train éclata sous les jupes de Mme Roger, à Clichy : le ravage y fut considérable. » Et tout est vrai. Félix Fénéon, un homme caustique, met en scène la mort au quotidien dans ses aspects les plus stupides et les plus lamentables, jusqu’à hausser le fait divers à la dimension de l’art. Epinglé en une formule aussi percutante que l’aphorisme, et assez poétique pour évoquer le haïku, le fait divers révèle la comédie de la mort : « Au faîte de la gare d’Enghien, un peintre a été électrocuté. On entendit claquer ses mâchoires, et il s’abattit sur la marquise. »
Les procédés littéraires utilisés par l’auteur sont aussi variés que les façons de mourir. Le plus efficace repose sur le silence, l’implicite qui suggère l’impensable. « On couronnait les écoliers de Niort. Le lustre tomba, et les lauriers de trois d’entre eux se teignirent d’un peu de sang. » Avec ça, trouver le mot exquis et diaboliquement juste qui coupera le souffle, c’est un jeu d’enfant où Fénéon excelle (« Une femme de 50 ans a été saccagée« ). Il en est de même dans l’art de la pointe : « Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère : le coup porta. »
Avec ces nouvelles en trois lignes, le lecteur balancera du rire vers l’effarement aussi rapidement que l’on passe du noyé au pendu, comme si le rythme soutenu des morts quotidiennes laissait tout juste le temps au chroniqueur d’inscrire la date et le lieu de l’accident. Le dessein de l’auteur : un exercice de style que l’on découvrait dès 1906 dans une rubrique du journal Le Matin, et qui devint bientôt célèbre.
Ingrid Pelletier