Délirante, inventive, cruelle si nécessaire, Estelle Nollet, avec ce troisième roman, reste dans sa veine pour nous offrir une étrange rétrospective post-mortem vécue collectivement par l’ancien patron blanc d’une réserve africaine, Harrison, son ami d’enfance devenu braconnier, N’Dilo, le fils adoptif du premier, Juma (un albinos manchot) et, enfin, Pearl, l’éléphante fétiche. Le roman commence en effet quand ces quatre personnages, expédiés ad patres après un conflit armé entre Harrison et N’Dilo, se retrouvent dans le noir et devant un mur où vont être rediffusées des scènes de la vie de chacun. Ne suivant pas une trame chronologique mais plutôt les conversations, les contestations et les associations d’idées, ces séquences s’enchaînent en restituant peu à peu, par mosaïque, l’histoire des protagonistes, leurs drames personnels et leurs liens.
Harrison, qui a repris la réserve de son père après avoir passé une partie de son enfance à jouer avec N’Dilo, perdra sa femme dans une zone piégée par les braconniers, convaincu que le coupable est N’Dilo et demeurant inconsolable. N’Dilo, lui, est devenu braconnier pour échapper à la misère ; en prison, il s’est lié avec un chef de bandits puissant qui lui assurera une carrière dans la pègre. Juma, après avoir fui seul son pays où l’on découpe les albinos pour en vendre des morceaux et qui, pour sa part, s’est vu dépossédé de son bras, se fait recueillir par le veuf blanc. Quand à Pearl, elle voit régulièrement ses congénères mutilés pour leur ivoire. Chacun, donc, incarne et assume un drame particulier, pour une issue à la fois commune et tragique.
Ce qui est ennuyeux, c’est que Nollet nous embarque en sous-régime. Le concept est original, certes, mais ce cinéma de purgatoire est tout de même peu justifié et finit par s’assimiler à un moyen un rien grossier. L’éclatement de l’histoire, aussi bien entre les protagonistes que d’un point de vue temporel, vire à un développement parfois fastidieux de la part d’un auteur qui nous avait habitués à des allures débridées. Enfin, chaque personnage ou presque s’associant à une « cause » et devenant son porte-drapeau, le livre prend une dimension assez lourdement pédagogique qui n’arrange rien. Bref, on garde la sensation qu’Estelle Nollet s’embourbe un peu en Afrique, cela sans doute parce que le continent lui tient trop à cœur pour qu’elle puisse y dériver librement, nous laissant un texte presque poussif, quoique pourvu de plusieurs flashs percutants et terribles.