« Je crois que l’Afrique est importante pour l’impérialisme américain, surtout comme réserve », écrit le Che dans ses notes personnelles, avant d’ajouter : « Ceci est l’histoire d’un échec. »
En 1965, le Che arrive au Congo à la tête d’un corps expéditionnaire cubain avec la mission d’aider les dirigeants du Mouvement de Libération (Kabila et ses amis) à combattre le gouvernement mis en place par les puissances coloniales. Un an après, rappelé par Fidel Castro, il quitte le pays, démoralisé : la révolution congolaise a fait long feu. Il partira bientôt en Bolivie, où comme on le sait, il trouvera la mort. Ce texte a été rédigé une fois terminée sa mission au Congo, à partir de notes écrites dans le feu de l’action. Elles sont donc enrichies d’une analyse critique approfondie, de lettres et de documents officiels, qu’il a incorporés après coup à l’ouvrage, et d’un épilogue en forme d’ouverture pour les révolutions à venir.
L’ouvrage est dense, n’ayons pas peur de le dire. Précis, aussi. Un véritable document sur la guérilla, qui n’est souvent pas ce que l’on croit. Le journal du Che n’est pas un roman, un récit aseptisé ou une hagiographie politique. Il décevra tous ceux qui s’attendent à du lyrisme, à un héroïsme exacerbé, à une épopée chevaleresque autocomplaisante. Autant pourrait-on dire que l’ouvrage est sec. Toute l’histoire de l’expédition, depuis l’arrivée clandestine du Commandante jusqu’à son départ, depuis la prise de contact avec les populations, avec la géographie contrastée de ce gigantesque pays, ses principaux leaders politiques et surtout ses us et coutumes, jusqu’à l’écœurement, les dissensions finales, est consignée avec une rigueur peu commune, celle d’un véritable chef de guerre, c’est-à-dire d’un individu responsable de ses hommes.
Dès le départ, on sent bien que cette révolution-là risque d’avorter : chefs politiques toujours absents (Kabila jamais là, taxé ironiquement d’ »étoile filante »), haine entre les différentes tribus, ravitaillement chaotique et apprentis-militaires inaptes sont les anecdotes parfois savoureuses : entre les Congolais qui confectionnent un piège à la grenade et oublient d’en avertir leurs camarades, ou ceux qui se disent immunisés contre les balles parce que leur sorcier leur a prodigué le dawa, l’enchantement sacré, on rit souvent, mais amèrement, en pensant à celui qui essaie tant bien que mal de les organiser, et qui, atteint de gastro-entérite et de malaria, a bien du mal à signer ses lettres du « venceremos » traditionnel, et qui préfère souvent s’isoler pour lire.
On est un peu entre Les Piliers de la sagesse de Lawrence d’Arabie et La Nausée de Sartre, avec un soupçon de tragi-comique lorsque le Che évoque la texture du bukali, le plat local, ou la chair « caoutchouteuse » et « dure » de l’éléphant, mais « qui se mange bien si la faim l’assaisonne ». Restent les morts, les défections, la trahison des « escrocs de la Révolution » épris de conforts, de bonne bouffe, et de voyages-conférences de presse à sensations. Au milieu de tout cela, Tatu (le surnom du Che au Congo), seul et déprimé, mais se promettant de ne jamais le montrer, un homme combatif et d’une lucidité redoutable lorsqu’il termine son épilogue par des réserves pleines de flair concernant l’actuel dirigeant du Congo : Laurent-Désiré Kabila. En un mot, le récit émouvant d’un fiasco, par un homme qui y croyait et qui est allé jusqu’au bout. Enfin de la littérature révolutionnaire.