Annoncé comme un roman exclusivement violent, Maniac part sur un malentendu de principe. On aurait vite fait de classer Eric Bénier-Bürckel parmi les derniers (et rasants) plagiaires de Bret Easton Ellis ou d’une quelconque mouvance trash, pour se tromper sur toute la ligne. Ici, un narrateur encaisse une existence répétée jour après jour tel un disque rayé. Quelque chose -ou quelqu’un, telle est son impression puis son constat objectif- le piste irrémédiablement jusqu’à suffocation. Dans la rue, au téléphone, au hasard d’une rencontre, on semble lui chuchoter le caractère vain et dispensable de son être. Rien ne parvient à freiner l’enclenchement de son déclin moral et physique, ni sa lente et certaine expulsion du jeu social. « Partout, prévient en exergue Thomas Bernhard, où qu’ils soient, les hommes sont traqués et tracassés et ils fuient et ils se sauvent et ils ne trouvent plus un trou où se réfugier, à moins de se jeter dans la mort ».
Son logement est envahi par les insectes. Une présence gratte derrière le mur de sa chambre. Le temps, en se répétant hystériquement, n’est plus qu’un bloc de nausée horaire au milieu duquel le narrateur se disloque peu à peu. Même la nuit, censée « charrier les corps harassés » a disparu pour faire place à un basculement cauchemardesque et vertigineux dans la folie, cette alternative à la mort. Au deuxième tiers du roman, on assistera à un changement de vitesse pour le moins impressionnant et qui, en soi, suffira à dissiper toute sorte de malentendu quant aux mobiles de ce livre. L’urgence oppressante des phrases ainsi qu’une capacité manifeste à bâtir de vrais dialogues excusent les quelques maladresses nécessaires à tout second roman et amènent Maniac à côtoyer ces livres qu’il est toujours utile de relire tant ils sont gorgés d’une force et d’un souffle fondateurs. Cette force est violente, certes, et parfois heurte. Mais il en a toujours été ainsi, et la vraie littérature ne s’est jamais construite qu’avec des nerfs.