A première vue, le roman d’Elisabeth Jacquet semble hermétique. Une typographie débraillée, irrégulière, et la présence de grands espaces blancs, emplissent ce livre déroutant. Mais ce caractère, fort heureusement, n’est qu’apparent. Une lumière s’infiltre dès les premières pages. Des phrases souvent peu ponctuées exigent une relecture immédiate, sans doute pour mieux nous révéler un monde insolite, bien que familier, rythmé par le cours des saisons. Un univers simple mais fragile à la fois, dominé par la sensibilité où une sensation de légèreté, de flottement, est couplée d’un questionnement récurrent. Où le quotidien le plus routinier, le plus vide d’intérêt côtoie les aspirations les plus profondes. Un univers condensé dans cette formule : « sous le petit tumulte de notre existence bruisse une émotion secrète ».
Le narrateur, figure féminine, qui sera tantôt « je » tantôt « elle », évoque sa vie de femme et de mère par le filtre introspectif de ses doutes et du cheminement désordonné de sa pensée. Cette femme à la recherche d’elle-même scrute dans les quelques lignes pourtant anodines du livre d’un « grand écrivain » la détaillant, elle et son fils, le sens caché de sa vie Tel est le prétexte pour évoquer, non sans ironie, le peu de jouissance qu’offre la vie d’une femme « moderne ». Job ou pas, entre deux courses, lavages, repassages, ménages, elle se réfugie dans la lecture de magazines féminins d’une inanité confondante (où des stars peuvent discourir à l’infini sur leur prétendue beauté), quand ce n’est pas dans des romans à l’eau de rose. Outre sa dénonciation du matérialisme ambiant (la télé, qui n’est rien sans le câble, les cartes de réduction multiples, etc.), l’auteur se moque également de cette ère du Net, comme si elle offrait une vision plus nette de la vie…
Mais la part la plus substantielle du roman est traversée par une réflexion approfondie sous forme de dialogues exposant à chaque fois deux positions adverses sur le livre en général, comme si la littérature se livrait à son propre interrogatoire… Pour juger si un livre doit faire rêver, être utile, apprendre quelque chose sur la vie ou encore introduire des personnages éblouissants. On se demande en effet si « son enfant », « son mari » et « l’Ecrivain », innommés comme pour préserver une certaine distance et empêcher une quelconque identification, sont vraiment des personnages à part entière du roman ? Ou s’il ne serait pas plus juste de parler de figures emblématiques ? En tout cas, on retiendra parmi les nombreux aphorismes façonnés sur ce vaste sujet : « J’aime l’éternel mensonge des romans qui, le temps d’une lecture, substitue au petit cahot de notre vie le foudroiement d’existences factices ».