La gloire hier, la mort demain : c’est d’un homme condamné à brève échéance (six mois, ni plus, ni moins -c’est en tout cas ce que lui assure son toubib) qu’Edward Saint Aubyn a choisi, pour ce cinquième roman traduit, de faire son héros. Notre homme, Charlie, est riche, dispose d’une luxueuse villa sur les hauteurs d’une station méditerranéenne mondaine, s’est fait un nom à Hollywood en y signant des scénarios à succès (son carton : « Alien with a human heart » ; il n’a guère échoué qu’en amour en unissant sa vie à celle d’une bouddhiste zen mais excessive (l’une des figures de prédilection du romancier anglais, qu’on a suivi dans Sur le fil au sein du petit monde ésotérique des groupuscules new age où se pressent d’innombrables occidentaux friqués en « quête de sens ») qui, après l’avoir quitté, le prive de voir son fils au nom d’une psychologie de l’enfant plus que douteuse. Tout l’invite en définitive à lâcher le morceau, à bazarder ses biens et, sans remords, à se laisser aller au pire en attendant la fin : le désespéré vend sa villa, part claquer ses millions au casino de Monte Carlo et sublime ses angoisses en se lançant dans l’écriture d’un mauvais roman sur la conscience au coin d’une table (dont les héros sont, justement, ceux de Sur le fil). Las : Charlie y croise la route de l’adorable et compulsive Angélique, folle du jeu dont lui-même devient fou. C’est ensemble qu’ils se débarrasseront gaiement d’un million chaque semaine en misant d’absurdes sommes sur les tapis verts de l’établissement monégasque et affronteront les incessants imprévus dont l’auteur a pavé la route de son attendrissant narrateur.
L’aventure est somme toute banale, mais l’histoire est enlevée : c’est qu’à défaut d’avoir le sens de la mesure, Saint Aubyn a, assurément, celui de la formule. S’il n’y a rien de vraiment révolutionnaire dans ce conte moral sur la mort et l’amour, vaguement enrichi d’une courte réflexion sur l’écriture (ce consternant roman métaphysico-scientifique sur lequel s’acharne le héros et dont Saint Aubyn nous propose de larges extraits), le romancier britannique, en bon Woodehouse au petit pied, n’a rien perdu de la verve caustique ni de la propension au second degré qui faisaient déjà le charme de sa trilogie « Patrick Melrose » (Peu importe, mauvaise nouvelle et Après tout), copieux jeu de massacre autobiographique et cocaïné au cœur de la good society anglaise. Pour être moins cynique peut-être, le registre reste dûment satirique et outrancier ; on n’est pas tout à fait au niveau d’un Waugh, mais on trouve à chaque page ou presque la formule fulgurante ou l’aphorisme cinglant qui donnent à l’excessif mais brillant Saint Aubyn son passeport pour cette enviable tradition littéraire.