« The Big Bad City ». C’était, sans doute, le meilleur résumé possible. Laissant imaginer un peu de la violence routinière de la ville d’Isola. Un lieu imaginaire, avec ses faubourgs et ses bouges. Dans les faubourgs la classe moyenne. Et l’inspecteur Untel, pleinement conscient de son appartenance à celle-ci. Aux bouges le tapin et les combines douteuses. Et Sonny, le mauvais garçon, qui se laisse convaincre qu’on en veut à sa peau. Tout cela se télescope. Partout, à toute heure, les rues d’Isola sont pleines de sales types poursuivis par des mecs bien. Et vice-versa. La ville est le seul vrai personnage, aux règles de laquelle tout autre caractère se subordonne. La ville offre refuge aux petits malfrats. Ils poussent leur chance. Elle les fait dérailler. Une brigade de flics quadrille Isola, la surveille et la scrute. Elle le leur rend bien : elle les accable de moiteur et de crime. Cette ville, c’est le grand méchant loup.
La traduction a opté pour un titre insipide. La Cité sans sommeil, comme accroche, ça fleure tellement le plagiat (Le Grand sommeil, au moins, c’était du mot pour mot) que c’en est à peine croyable. Laissons cela : La Cité sans sommeil, dernier avatar des Chroniques du 87e District, est une réussite. La ville imaginaire d’Isola suit de loin -avec quelques curieux décalages temporels (Steve Carella, inspecteur « vieillissant » comme il se définit lui même, vieillit décidément moins vite que le vieux McBain)- l’évolution historique et sociologique de la ville de New York, digérant brillamment les changements qui l’ont transformée : la méthode du « zéro défaut » que lui ont si brillamment appliqué les politiques, les transformations climatiques, les tests ADN et les tous derniers soaps à la télé.
C’est cela qui fait la richesse et la vie de cette histoire de 87e District. Cette ville, Isola, est une ville comme les autres, nous dit Ed McBain. Mais moi, je la regarde respirer, je la regarde se mouvoir comme une bête, et elle ne s’arrête jamais. Commencer un roman d’Ed McBain n’est rien d’autre, finalement, que de prendre un train en marche. On rentre dans l’intimité -non pas d’un être, ni d’un couple (bien que La Cité sans sommeil regorge d’interrogations existentielles et de quiproquos entre vieux camarades), mais d’un bureau bruyant où fusent les histoires de bonnes sœurs (l’enquête porte sur l’une d’entre elle), dans l’intimité d’une ville entière qui a pour seule raison d’être les correspondances entre personnages, reliés par les fils ténus d’intrigues morbides et emmêlées comme la chevelure ensanglantée de sœur Mary Vincent. Une ville ogresse, ultime, quintessentielle, par laquelle tout arrive et tout retombe dans le silence, après le dernier coup de feu.