« Le changement fut à peine perceptible, il ne toucha que ceux qui étaient attentifs, ceux qui au fond du cœur l’appréhendaient, les personnes un peu trop sensibles. » Dans cette première phrase de son nouveau roman, L’Heure exquise, Dominique Barberis donne le ton, comme le ferait un couple de danseurs, à la fois ravis d’ouvrir le bal et soucieux de communiquer leur enthousiasme à l’ensemble des convives. Tout est dit dans cette phrase, du moins, tout est suggéré.
En même temps, elle invite le lecteur à se laisser bercer par une mélodie sortie d’une boîte à musique, par une comptine qui résonne peu à peu à nos oreilles, par une symphonie de parfums et de couleurs, par des notes qui nous sont finalement familières. Dominique Barberis nous raconte des histoires. Celles d’un village, de quelques familles ça et là. De femmes, surtout, pétries de rêves, mais aussi de devoirs. Il y a Bénédicte, elle n’est pas encore une femme. Elle est une petite fille, « trop sensible », elle a six ans. Chaque soir, comme un rite immuable, elle prépare sa Barbie pour le bal. Elle veut que Barbie soit la plus belle et que le prince charmant succombe à ses charmes. Elle la coiffe, lui remet l’une de ses deux pantoufles de vair qui a la fâcheuse tendance de tomber et de se perdre dans les touffes d’herbe.
Il y a Patricia Saint-Ollier, sa mère, malade des nerfs de ne pouvoir plus jamais vivre une grande histoire d’amour, de ne pouvoir échapper à un quotidien qui la renvoie à son rôle d’épouse et de mère. Elle ne pourra jamais plus faire tourner la tête à aucun homme. Encore moins celle de son mari, dont le regard n’atteste déjà plus la moindre étincelle de désir, seuls, quelques gestes tendres, accolades machinales, témoignent d’un lien de connivence.
Il y a Florence Morineau, la bouchère, qui danse avec Cary Grant, coincée entre une tête de veau trônant sur l’étalage réfrigéré et une tranche de foie qui ressemble, de loin, à un miroir au cassis. Ou encore, Claire Lansiot qui se réfugie dans des romans à l’eau de rose, et se laisse submerger par les émotions, maudissant ces histoires d’amour tout en renouvelant continuellement son univers de ces créatures de papier. Elle le vit comme une fatalité, celle de vivre par comparaisons et par procuration ; elle accepte en silence une vie cruellement ordinaire.
Et puis, il y a toutes les autres, mais laissons l’auteur nous les raconter… L’Heure exquise, c’est aussi tout un univers, un amour incontestable de Dominique Barberis pour la nature, une sensibilité intacte, capable d’exprimer avec des mots d’adulte, sans jamais trahir les émotions et les sensations d’une enfant. C’est aussi imaginer les maux des femmes, qui, à un moment donné, ressentent le besoin de se retourner sur leur parcours ou au contraire de s’extraire de la réalité et de s’échapper, de rejoindre les fantasmes les plus fous, pour ne plus jamais pouvoir s’en passer.
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