A en croire les confidences de William S. Burroughs, qui garantissait dans sa préface aux Soleils brillants de jeunesse (traduit chez Viviane Hamy, 1997) que Denton Welch est l’écrivain qui l’a le plus influencé, l’auteur anglais mérite sans doute mieux que l’anonymat parfait où il stagne chez nous -anonymat dont personne ou presque n’a d’ailleurs jamais tenté de l’extraire : ce Voyage initiatique était inédit en français jusqu’à cette traduction par Corinne d’Arboussier.
Né en 1915, Denton Welch fut fauché par une voiture à l’âge de dix-huit ans ; affaibli et handicapé, il publiera quelques romans et un recueil de nouvelles avant de décéder des suites de son accident, en 1948, à l’âge de trente-trois ans. Voyage initiatique, son premier roman, fut publié en 1943 par un éditeur (Herbert Read) frileux, qui lui confiait : « je ne suis pas certain que le moment soit opportun pour publier votre ouvrage » (Denton Welch, Journal, 28 septembre 1942). Fortement autobiographique, il raconte la découverte par le jeune Denton (seize ans environ), fugueur et décidé à ne plus remettre les pieds au college de Repton dont il ne supporte plus la discipline et les bizutages, de la Chine, où il est invité par son père pour un an (orphelin de mère, il était élevé par sa tante en Angleterre avec son frère aîné). Shanghai, Pékin, incartades solitaires et curieuses hors du cocon guindé de la cellule familiale (thé à heure fixe, boys dévoués, classicisme british) : Denton goûte aux saveurs de l’univers avec un enthousiasme d’affamé mêlé de crainte et de timidité. D’un regard plus ou moins ingénu, il découvre la vraie violence, l’alcool, la sensualité féminine, les fluctuations incontrôlables de l’amitié, écarquillant les yeux devant ce que son éducation lui a caché, prenant toujours plus de libertés avec les interdits.
Sans jamais se départir des facilités et du goût très sûr du milieu auquel il appartient et appartiendra toujours : en témoignent sa passion juvénile pour les antiquités et la peinture et son aspiration à fréquenter, plus tard, une école d’art. Malgré une écriture parfois confuse ou désordonnée, reflet de la luxuriance et de la débauche de sensations du narrateur, Denton Welch signait là un premier roman plein de promesses, mais que son bref destin lui aura empêché de toutes mener à leur terme. Débarqué trop tôt du train de l’existence, des joies dont il savait ne pas devoir profiter très longtemps, Welch parle de la Chine et de ses éblouissements comme de sa vie à lui : au moment de regagner l’Angleterre, sur le bateau du retour, à la fin du roman, il a ces mots d’une tristesse infinie : « Puis je descendis dans la salle à manger, m’assis près de Mme Morgan, et fis de mon mieux pour converser avec elle comme si ni l’un ni l’autre nous n’avions rien perdu ».