Dans la grande lignée des hymnes hippie à la Beck, le dernier roman de Denis Johnson égrène l’air un peu éculé du perdant magnifique. Les paysages où sont campés les personnages de l’intrigue représentent le côté obscur d’une Californie pas si Baywatch qu’elle n’en a l’air. La satire, pourtant, s’arrête là. Comme dans l’adaptation filmique de son roman Jesus’ son, la déglingue du grand junkyard signé Johnson n’est en fait qu’un prétexte à une bonne dose de poésie pastorale, sur le thème très néoromantoch des braves « counter-heroes » damnés par Dieu, la vie, le Saint-Esprit, amen.
Les personnages de ce roman sont tous des figures hautes en couleur. Du flic à la dérive à l’héritier dépressif et alcoolique, tous les clichés d’un roman gothique sont étalés au lecteur, sans détournement spécifique du genre. Il est vrai que Johnson a délibérément repris les codes de Mary Shelley pour les transporter dans l’univers plus sudiste de sa Californie natale. Pourtant, son effort pour « renouveler » le genre tombe à l’eau et verse dans la redite. Si Thomas Mc Guane, formidable auteur de Panama, avait su insuffler à ses créatures un décalage inventif et schizoïde, le Multiple Personality Disorder qui frappe les personnages de Déjà mort n’est que le prétexte à un peu plus de normalité dans le grotesque ambiant. Et quand la narration sombre vite dans une évocation embrumée de la dégénérescence de la société post-hippie, on reste bien loin des carnets gonzo hallucinés de Hunther S. Thompson ou des violentes contre-attaques envers la Beat Generation signées Burroughs.
Le pouvoir évocateur de Denis Johnson reste malgré tout puissant et figuratif. Le grand Sud de Jim Harrison, ses étendues et ses plaines, trouve dans Déjà mort un écho répercuté dans cette écriture déliée qui a popularisé cette nouvelle génération d’écrivains américains vers un public avide d’espaces vierges. Mais loin des préoccupations urbaines de certains de ses contemporains, Johnson s’embourbe dans un remix douteux d’un certain nombre de clichés de la littérature néo-faulknérienne. Un récit sans rythme traversé ici et là de fulgurances narratives malheureusement noyées dans une volonté délibérée de créer une ambiance à partir de l’insignifiant et du parcellaire. L’absurdité poétique de ces vies qui se croisent n’arrive jamais à créer un plan assez conséquent pour faire décoller une romance de psychopathes à la petite heure qui n’en finit plus. Et résonne entre les lignes de texte, un folk-rock sombre des idoles d’un temps passé : I’m a loser baby, so why don’t you kill me.