En France on n’a pas de talent, mais on a des idées. Plus ou moins habilement emboîtées, lorsqu’elles sont plusieurs en tous cas, elles font les temps forts de petits romans sympathiques dont elles maquillent, tant bien que mal, le style laborieux et le rythme trébuchant. David Foenkinos, 27 ans et ce premier texte dans la « Blanche » (clin d’oeil plein de gratitude à la troisième page -ce sera toujours ça de fait : « Conrad était également très occupé puisqu’il travaillait comme magasinier à la librairie Gallimard »), a pour lui une inventivité fantasque et le don, depuis longtemps perdu par la génération gagnante du roman français, du décalage loufoque et du détail qui tue. Son héros sera tchèque, un peu simple et croira dur comme fer, ainsi que la plupart des jeunes crétins de sa région, que son oncle s’appelle Milan Kundera. Il cherchera refuge auprès de lui à Paris, se verra offrir un job au noir rue Sébastien Bottin et finira par croiser la route du narrateur, Victor, 30 ans, oisif, riche (il a gagné au Quinté + il y a une dizaine d’années) et désespéré. La fiancée de Victor l’a plaqué : il faut dire que pour son anniversaire, il lui a offert une boîte de sardines à l’huile millésimées. Elle n’en a pas pour autant quitté l’immense appartement bourgeois dont il est propriétaire, le contraignant ainsi à une cohabitation compliquée. Arrive donc Conrad, le tchèque, parangon d’innocence pure et de gentillesse gratuite, que notre narrateur érige bientôt au rang de troisième occupant des lieux en espérant, grâce à lui, reconquérir le coeur de sa compagne. S’agrègent là-dessus un voisin obtus, son singe monomaniaque (il ne supporte pas les Rolling Stones), un jeune banquier imbu de lui-même et, of course, les deux polonais intempérants qui justifient le sous-titre (« De l »influence de deux polonais », donc) : voilà pour les idées. Les deux-cents dix pages sur lesquelles elles flottent sont, hélas, indignes d’elles ; on s’y ennuie plus souvent que l’on ne s’y amuse, les vagues lueurs de la prochaine trouvaille incitant, seules, à s’obstiner dans la lecture. La tenue très approximative du style, l’accablante platitude de la plupart des effets comiques et, surtout, le rythme saccadé d’un texte où d’interminables temps morts forment la pénible passerelle entre deux de ses quelques inventions notables ramènent David Foenkinos, qu’on imaginait pourtant volontiers comme l’électron déjanté que la France attend toujours, au rang d’aimable tâcheron ludique ou de sympathique divertisseur milieu de gamme, un peu au dessus de ses compères en niaiserie adolescente. Et très en dessous, de fait, de curiosités d’ailleurs dont il ne donne qu’une copie pâle, inoffensive et inefficace.
David Foenkinos – Inversion de l’idiotie
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