Sang lié raconte la lumineuse transmutation d’un homme-sanglier. Le sanglier se butte, furieux, à tous les murs, avec le cuir épais de blocages intimes sur le corps, les coups de la vie et de l’enfance lui ayant trop durci la peau, jusqu’à ce qu’une rupture vienne l’affranchir de lui-même, une rupture qui ne peut avoir lieu qu’à l’intérieur (sang / lié), produite de l’extérieur, par la rencontre amoureuse, qui dénoue en liant et implique une rencontre globale avec le monde, avec la vie, régénérée. Le titre résume avec une extrême et judicieuse concision tout le phénomène envisagé dans livre et exprime de surcroît une autre transmutation corrélative : celle qui a lieu dans les mots et par les mots.
Terrestre, violent, sauvage, dissimulé dans les broussailles ou s’enfouissant, le sanglier est l’animal totem de cette œuvre qui prend la forme d’une confession poétique. En amont du narrateur est projetée l’ombre de l’enfance, une projection mythifiée sur les plaines et dans les forêts, entrecoupant l’urgence confessionnelle d’un autre rythme, symbolique, ralenti, épuré. Face au narrateur s’élève la batterie d’obstacles contre lesquels il vient buter : l’enfermement volontaire, l’alcool et le rut, qui ne seront réduits en poussière que par l’illumination de l’Autre. Une illumination apaisante, d’une certaine manière, mais qui n’annule en rien l’énergie de la rage, voire même qui la libère sur un nouveau plan, la rage de se tuer devenant rage de vivre. Et c’est avec une virulence similaire que l’auteur traite de son bonheur, de son amour, de sa vie retrouvée, laquelle exige autant de fougue pour s’accomplir qu’il en fallait au sanglier pour cogner les murs.
David Bosc propose un bel alliage de distance symbolique et d’inflexions charnelles où, sur une toile de fond allégorique, viennent percer coups de sang, coups de corne et coups de foudre. Si cette charge brute a l’élan parfois maladroit et confus des premiers romans, elle n’en a pas moins la beauté d’une langue nerveuse, précise, fouaillant la chair et le cœur, élégamment agressive, et dont les sinuosités sont celles d’une libération. Sang lié est un acte de naissance, à la vie comme à la littérature. Une naissance encore tout ensanglantée de son placenta de rêves et de ruminations obscures. Et décidément, entre le coq Carlos Batista et le sanglier David Bosc (on peut aisément comparer ces deux premiers romans : style, lyrisme, violence, confession, allégorie animale), cette rentrée littéraire aura lâché des nouveaux romanciers de talent, des animaux terribles bien décidés à en découdre.