1984, Arthur Friedland emmène ses fils jumeaux et leur demi-frère au spectacle d’un hypnotiseur. Quelques semaines plus tard, ce raté aux prétentions littéraires abandonne ses enfants et disparaît dans la nature, avant de ressurgir en vedette mondiale par la grâce d’un livre dont se réclament tous les suicidés à travers le globe. 2008 : on retrouve les trois fils devenus adultes, qui prennent la parole tour à tour. Le premier est prêtre catholique, malgré une foi chancelante. Le deuxième est un financier tape-à-l’œil, qui escroque ses clients dans un système de type « pyramide de Ponzi ». Le dernier, peintre manqué, s’est fait une place dans le monde de l’art à travers une imposture. Les trois chapitres se déroulent sur la même période de quelques jours ; on voit les mêmes événements à travers le regard successif des trois frères. Ingénieuse astuce de construction, qui n’empêche pas qu’on peut trouver balourd ce roman familial décousu (dites : « déconstruit ») qui pose au récit philosophique. La religion, la finance, l’art, la société du spectacle qui bascule dans la crise ? Kehlmann n’en dit rien. Il balade son trio de menteurs pathologiques dans des saynètes interminables, avec l’ironie postmoderne d’un DeLillo manqué. Les vedettes chantent pourtant les louanges de ce roman : Ian McEwan, par exemple, y voit « de brillantes études de caractère », et découvre son incroyable ressort, le manque d’amour paternel, à l’origine des fautes commises par les trois frères ; Jeffrey Eugenides file la métaphore du Rubik’s Cube (jeu auquel s’adonne le curé) en expliquant que Kehlmann « manipule les blocs narratifs » comme un jeu ; Adam Thirlwell, enfin, trouve qu’il « donne à d’immenses thèmes une apparence légère ». Un peu trop ?
Traduit de l’allemand par Juliette Aubert.
Crédits photo : Heji Shin